Le dernier vol du faucon
jungle à travers la portion restante de l'isthme. Il leur fallut quatre jours pour franchir la jungle épaisse, composée de forêts et de mangroves. Et quatre nuits de sommeil inquiet autour de feux de camp attentivement gardés.
Ils émergèrent enfin de cette prison verte pour se retrouver sur le golfe de Phriphri, émus de revoir l'océan. De là, un service régulier de bateaux devait les conduire à Ayuthia. Après avoir pris des dispositions pour assurer leur passage, les hommes du père Carvalho s'en retournèrent à Mergui sans leur infortuné camarade.
Mark et sa mère voyageaient depuis deux jours à bord d'une robuste jonque en bois de teck. Après avoir longé la côte, celle-ci pénétra le second matin dans l'estuaire du grand Chao Phraya, large de près de deux milles. La barre franchie, ils purent admirer les rizières miroitantes et les vergers fertiles, traversés par une multitude de canaux. Fascinés, Nellie et Mark apercevaient sur les rives des enfants nus à la peau brune jouant à sauter dans les eaux du vaste fleuve depuis les terrasses de leurs maisons.
C'était là un monde entièrement nouveau dont le charme exotique les conquit aussitôt. Sans le savoir, Mark et Nellie partageaient les mêmes pensées. Comme Phaulkon avait dû être séduit, en découvrant pour la première fois ces paysages enchanteurs! Lui qui, autrefois simple marin, veillait aujourd'hui à la destinée de ce pays.
Le capitaine de la jonque aboya un ordre et le bateau se dirigea vers la rive bordée de palmiers et de bananiers. Peu avant le coucher du soleil, ils accostèrent le long d'une petite jetée de bois au voisinage du village de Bangkok. Le fleuve était couvert de petites pirogues dans lesquelles des femmes, portant des chapeaux de paysanne à larges bords, vendaient des fruits, des légumes et des vêtements aux couleurs vives. On pouvait voir sur chaque rive des huttes de bois sur pilotis et, à quelque distance de là, les murailles crénelées du fort français, rougeoyant sous les feux du soleil couchant. Derrière le village, des rizières d'un vert clair s'étendaient à perte de vue, ponctuées par la flèche dorée d'un temple jetant ses derniers feux dans le crépuscule.
Nellie et Mark songèrent à se rendre au fort pour y demander l'hospitalité et peut-être même y déguster un savoureux repas. Mais Nellie décida qu'ils avaient besoin d'une bonne nuit de sommeil avant de rencontrer le général français. Le lieu tranquille où ils avaient accosté, à la lisière du village, semblait idéal pour retrouver des forces. Les autres passagers débarquèrent et l'un des trois membres de l'équipage se rendit au village pour acheter des provisions. Mark réussit à lui faire comprendre qu'il était préférable de ne pas parler de la présence de la mem à bord, espérant ainsi que la foule des curieux ne viendrait pas les déranger.
Peu après la tombée du jour, le marin revint avec des paniers de bambou remplis de riz, de poissons et d'un assortiment de fruits et légumes. II avait acheté aussi quelques longueurs d'un léger tissu blanc destiné à les protéger des moustiques. Nellie et Mark ne furent que trop heureux de s'en draper. Assis sur les planches du pont, jambes croisées, ils pouvaient enfin ignorer les insectes frustrés qui tournoyaient goulûment autour d'eux. L'air était chaud et embaumait. A la tombée de la nuit, ils burent du lait de coco et prirent un repas de riz et de poisson préparé à terre par le cuisinier.
L'équipage mangeait à part et, quand les hommes eurent terminé, ils retournèrent à bord expliquer à Mark qu'ils allaient voir des amis au village. Ils reviendraient au bateau pour y passer la nuit. La mem n'avait rien à craindre en leur absence, assurèrent-ils en souriant, car on ne trouvait pas d'animaux sauvages dans les parages. Réconfortés, Nellie et Mark les regardèrent descendre le sentier boueux qui conduisait au village. Pour la première fois depuis leur départ, ils se retrouvaient seuls.
Un croissant de lune monta dans le ciel clair tropical. Une tapisserie d'étoiles tremblotantes apparaissait entre de fins lambeaux de nuages qui se déplaçaient lentement. C'était un spectacle vraiment magnifique et ils se sentaient soulagés à la pensée de laisser la partie la plus difficile du voyage derrière eux. Hormis l'habituel concert nocturne des grenouilles, des criquets et des cigales, le village, éclairé par quelques rares
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