Le dernier vol du faucon
atteindrait le village de Bangkok au coucher du soleil. Le siamois de Mark s'était considérablement amélioré, du moins pour l'usage quotidien. Il était fier de son rôle d'interprète et heureux de sentir que sa mère dépendait davantage de lui.
Ils voguaient à présent sur les eaux du Chao Phraya, la Rivière des Rois que l'on baptisait «Mère des Eaux». Le large fleuve traversait des plaines fertiles, une région en cuvette souvent appelée « bol de riz du Siam ». Cette route fluviale les conduirait à Ayuthia, à environ quatre-vingts milles de là.
Le voyage avait combiné à égalité des moments de plaisir et de terreur prouvant que les mises en garde d'Ivatt n'étaient pas exagérées. Avant de s'engager sur le Chao Phraya, ils naviguèrent dans un canot sur une large rivière, dormant la nuit sous des couvertures, leur embarcation amarrée à de gros rochers au milieu du courant. Tout morceau de chair dénudé était aussitôt attaqué par des nuées de moustiques affamés qui voletaient autour d'eux. Plus terrifiants encore étaient les bruits menaçants montant des rives : tigres, rhinocéros à corne ou encore sangliers rôdant aux alentours. Sans cesse, d'inquiétants grondements ou craquements interrompaient leur sommeil.
Pendant six jours, ils avaient affronté la jungle téné-breuse, de l'aube au crépuscule. Les rameurs ne se reposaient que lorsque la direction du vent leur permettait de faire usage des petites voiles dont chaque canot était équipé. Le courant était fort et rapide, la traversée d'étroits défilés rocheux dangereuse. Mark et Nellie avaient admiré l'habileté avec laquelle les rameurs sautaient par-dessus bord pour diriger leur embarcation dans les tourbillons parsemés d'obstacles.
Les splendeurs de la nature compensèrent heureusement les rigueurs du voyage. Des troupeaux de daims joliment tachetés les regardaient anxieusement passer le long du rivage ; des hordes de singes bavards jouaient les acrobates de liane en liane; des oiseaux au plumage éclatant caquetaient gaiement au-dessus de leurs têtes. Et, défilant au rythme lent de la yole, la forêt d'un vert luxuriant s'étendait de toutes parts, s'ouvrant parfois sur des rizières ensoleillées ou de petits villages enfouis dans la verdure.
Deux événements mémorables avaient marqué la première partie de leur voyage, avant que le Tenasse-rim ne soit plus navigable et qu'ils aient à recourir à des éléphants pour poursuivre leur route. Un matin, l'un des hommes du père Carvalho avait décidé de gagner à l'aube le rivage pour tirer quelques oiseaux destinés à leur repas. Il avançait dans l'eau à mi-cuisse lorsque la forme ronde et frémissante d'un énorme meng plu sauta hors de la rivière pour le saisir à l'aine. En entendant ses cris, les autres se précipitèrent à son secours en brandissant leurs rames. Il leur fut hélas impossible de frapper le poisson Carni vore sans atteindre leur compagnon.
Ils tentèrent alors de saisir le corps noir et glissant de l'animal, mais ses dents acérées ne lâchaient pas leur prise et finirent par déséquilibrer le malheureux marin qui perdit pied et fut emporté par le courant. Ce macabre épisode s'était déroulé sous les yeux de Nellie et de Mark et il leur avait fallu un jour entier avant de pouvoir toucher de nouveau à leur repas.
Le second événement avait été tout aussi surprenant, mais avec des conséquences moins tragiques.
Ils avaient mis pied à terre pour se dégourdir un peu les jambes dans un petit village appelé Ban Klang. En apercevant Mark, plusieurs villageois tombèrent face contre terre. D'autres le regardèrent avec perplexité tandis que de vives discussions éclataient un peu partout. Mark était devenu l'objet de toutes les curiosités jusqu'à ce qu'ils regagnent leurs embarcations.
Nellie avait observé en plaisantant que, pour une fois, c'était lui et non elle qui attirait tous les regards. Certes, les villageois l'avaient dévisagée avec intérêt, mais leurs yeux se portaient sans cesse vers Mark. Longtemps après, les rameurs, évoquant cet épisode, se moquaient encore de l'évidente sottise de ces villageois qui avaient pris leur jeune passager pour le Barcalon.
A Jelinga, une poignée de huttes primitives à six jours de voyage de Mergui, ils abandonnèrent le fleuve pour louer des éléphants, des chars à bœufs et des chaises à porteurs afin de parcourir la piste cahoteuse qui s'enfonçait dans la
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