Le dernier vol du faucon
l'abandonner faisait-il partie d'une conspiration de meurtriers? Le passé venait à nouveau la hanter et, bien malgré elle, les images douloureuses de longues années de cauchemar vécues après le départ de Phaulkon.
Agitée, elle avait attendu une éternité avant de pouvoir trouver le sommeil. Au moment de sombrer dans l'inconscience, elle n'avait pas manqué de remercier Dieu pour Mark. Jamais elle n'avait eu autant besoin de sa force intérieure et de sa protection. Ici, au Siam, sa pétulance enfantine s'effaçait. Il se transformait en homme sous ses yeux.
Il la rejoignit dans la cabine et lui lança un regard appréciateur. Elle fut heureuse de lire dans ses yeux qu'il était fier d'elle.
«Tu es l'image même d'une rose d'Angleterre, mère. Les Français seront sous le charme. »
Elle se contempla encore une fois dans son petit miroir de voyage. «Tout ce que je souhaite, c'est m'assurer leur aide pour parvenir jusqu'à ton père, Mark.
- Sans doute n'ont-ils pas vu de femme européenne depuis des années! Méfie-toi... ils pourraient bien ne jamais te laisser partir.
- Il faudrait bien plus que toute une armée française pour me retenir loin de toi, répliqua-t-elle en l'embrassant.
- Comptes-tu leur montrer la lettre ?
- Je ne sais pas encore, mais je la prends avec moi. »
Elle ouvrit la porte de l'étroite cabine.
«Je ne t'accompagne pas, mère. Il y a un Français de garde sur le pont. Je ne veux pas qu'on me prenne une fois de plus pour mon père. »
Elle rit nerveusement, lui envoya un baiser et s'éloigna dans la coursive.
Tout en suivant le caporal Dupuy le long d'un sentier longeant le fleuve, Nellie fut impressionnée par l'imposante forteresse qui se profilait au loin et ne semblait guère à sa place dans cet environnement exotique. Son guide lui expliqua qu'elle avait été construite par les Portugais à l'époque où ceux-ci régnaient en maîtres exclusifs sur le commerce de l'Asie. Par la suite, les Français avaient réparé ses remparts et embelli le bâtiment après que le roi Naraï avait offert au général Desfarges d'y abriter son armée. Sa haute silhouette aux murs de briques crénelés dominait une courbe du fleuve à quelques milles de l'embouchure du grand Chao Phraya. Sa position stratégique empêchait tout visiteur importun de gagner la capitale Ayu-thia, au nord.
Nellie éprouva une bouffée de soulagement à la vue de cette architecture européenne, si incongrue
soit-elle. Elle se réjouissait également de revoir à nouveau les gens de sa race. A la porte du fort, une sentinelle en uniforme les salua. Ils étaient manifestement attendus. Le guide les conduisit dans une vaste cour intérieure semée d'une végétation exubérante. C'était un endroit agréable et ombragé, bercé par l'écho des remous du grand fleuve voisin. La flèche étincelante d'un temple dont la présence, ici, surprenait quelque peu, jaillissait au-dessus de la ligne massive des murs.
Tandis qu'ils pénétraient dans une seconde cour, Nellie aperçut un groupe d'officiers assis à l'ombre d'un grand arbre. Ils se levèrent tous précipitamment à son approche et la contemplèrent, visiblement éblouis par sa beauté. Nellie se demanda depuis combien de temps ils n'avaient pas vu de femme européenne.
Le général fut le premier à retrouver sa voix.
« Madame, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à Bangkok et de vous exprimer mes plus profonds regrets pour les malheureux événements qui vous y ont accueillie. Je suis le général Desfarges et voici mes officiers supérieurs, Beauchamp, Dassieux et Le Roy. »
Les officiers s'inclinèrent à tour de rôle.
« Merci, Général », répondit-elle de sa voix la plus cristalline, en adressant un sourire à chacun des officiers. «Certes, cela n'a pas été facile, messieurs, mais je me sens à présent moins effrayée en si vaillante compagnie. »
Heureusement, songea-t-elle, son français était passable...
Les hommes rayonnèrent et ce fut à qui aurait l'honneur de l'escorter jusqu'à un siège. Ils étaient sous le charme, séduits par sa beauté tout autant que par son français teinté d'un fort accent anglais. Dès qu'elle fut assise, ils se précipitèrent pour lui offrir à boire et à manger tout en l'assurant de leur dévouement. Ils auraient volontiers poursuivi leurs assiduités mais un regard sévère du général leur rappela que c'était lui le maître du jeu.
Nellie reporta son attention sur
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