Le dernier vol du faucon
Je n'ai pas encore abandonné. De toute façon, nous nous éloignons du sujet, messieurs. Le problème n'est pas Phaulkon, mais Malthus.
- Quand verrons-nous cette Anglaise ? demanda Dassieux. Elle pourrait certainement éclairer la situation.
- Laissons-lui le temps de se reposer après cette terrible aventure, dit le général. Elle se trouve toujours sur le bateau. Le capitaine a déclaré qu'à son retour, la nuit dernière, il l'avait trouvée sur le pont, tremblante, en compagnie de son fils. Dupuy est là-bas et il nous l'amènera dès qu'elle aura repris ses esprits. »
Le Roy intervint. « Pourquoi le capitaine a-t-il mis si longtemps pour nous apporter le corps?
- Probablement parce qu'il devait être paralysé par des superstitions, suggéra Beauchamp. Les Siamois croient aux esprits et n'oubliez pas que l'agression s'est passée au milieu de la nuit.
- Dupuy a-t-il parlé à cette Anglaise quand il a fouillé le bateau?
- Oui, mais seulement à travers la porte de sa cabine, répliqua le général. Elle était trop bouleversée pour dire grand-chose mais nous savons au moins qu'elle parle français.
- Merci, mon Dieu! s'exclama Dassieux qui était à la fois paresseux et pessimiste.
- Et Dupuy n'a rien trouvé d'autre à bord ? » insista Le Roy.
Toujours méticuleux, il fit un geste pour redresser son col pourtant aussi impeccable que d'habitude.
«Seulement des traces de sang. Pas d'autre indice.
- Que peut bien faire une femme blanche dans ce coin?» lança Beauchamp à la cantonade.
Avec son beau visage aux traits nordiques, le major était le plus calme de tous les officiers, celui qui se contrôlait le mieux. Il observait les autres sans émotion apparente.
« Le batelier dit qu'elle voyage avec son fils. D'après Dupuy, dont le siamois est plutôt hésitant, le capitaine sait seulement qu'elle a voyagé par route depuis Mergui et que son passage jusqu'à Ayuthia a été payé par les hommes qui l'ont accompagnée jusqu'à la côte.
- Tout cela semble plutôt inhabituel», soupira le général.
Dassieux hocha la tête.
« Eh bien, espérons au moins qu'elle pourra décrire l'assassin. »
Entre temps, un groupe de Siamoises, poitrine nue, avait apporté des chaudrons de riz fumant ainsi que des plats de poisson et de poulet préparés à la française par le chef Mireaux. Le corpulent général se servit largement et abandonna la conversation pour se consacrer à son assiette.
Levée depuis déjà un bon moment, Nellie n'était pas pressée de faire son apparition. Elle voulait se montrer sous son meilleur aspect, persuadée que ce jour allait marquer une étape décisive dans sa recherche de Phaulkon. Les Français, elle en était certaine, seraient en mesure de l'aider - du moins si elle savait se montrer assez persuasive.
Elle se coiffa longuement, soigneusement. Puis, à l'aide de son petit miroir de poche, elle se maquilla avec des fards apportés d'Angleterre, dans l'espoir de dissimuler les cernes que cette nuit agitée avait creu-sés sous ses yeux. Elle portait la seule robe européenne encore en sa possession, ayant pris soin de la suspendre chaque nuit pour la défroisser. C'était une robe d'une jolie teinte jaune clair, pourvue de manches bouffantes et resserrée à la ceinture, faisant ressortir sa taille fine. Le haut en était décolleté, laissant apparaître ses belles épaules et entrevoir les courbes tentantes de ses seins. Sachant combien les Français étaient attachés aux questions d'élégance, Nellie était décidée à faire impression sur le général.
Elle voulait aussi avoir le temps de rassembler ses esprits. La lettre que Mark avait trouvée dans la couture du tissu arraché à l'assassin avait fait l'objet d'une longue discussion entre eux. Devaient-ils la montrer aux hommes de l'équipage et leur demander ce qu'elle signifiait? Mais le siamois de Mark demeurait encore hésitant et il n'était pas certain de comprendre leurs réponses. Peut-être valait-il mieux en aviser seulement le général Desfarges lors de leur visite au fort.
Instinctivement, Nellie devinait que ces lignes avaient un rapport avec Phaulkon. Le Siamois n'avait-il pas prononcé son nom? Elle se demanda s'il n'était pas finalement préférable de garder la lettre secrète. Mais alors, comment trouver quelqu'un de confiance qui la leur traduise? Les paroles de l'assassin continuaient de la tracasser. Cet homme qu'elle avait tant aimé et qui n'avait pas hésité à
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