Le dernier vol du faucon
espérons que nous pourrons l'attraper, conclut Desfarges. Nous allons envoyer un messager au séminaire pour les informer de la situation. Dès que quelqu'un se présentera pour réclamer une nouvelle croix, nous enverrons Mme Tucker pour l'identifier.» Il sourit à la jeune femme. «Il semble donc que nous allons avoir le plaisir de votre compagnie au fort au moins quelque temps, madame. L'un de mes hommes va vous montrer vos appartements et vous accompagnera jusqu'au bateau pour aller chercher votre fils et vos bagages. »
À défaut de trouver une réplique, Nellie lui rendit son sourire.
Sorn, la cuisinière de Phaulkon, était prosternée devant son maître dans le cabinet de travail où celui-ci aimait méditer, entouré de ses objets d'art favoris : son inestimable collection de cabinets d'Ayuthia en laque noir et or, d'anciens manuscrits bouddhistes alignés sur d'interminables étagères et le modèle réduit tant aimé du Lotus Royal, la jonque côtière en forme d'aile de chauve-souris qui l'avait amené pour la première fois au Siam.
Etendu paresseusement sur un magnifique divan -un cadeau des jésuites -, il porta un regard affectueux sur Sorn, sa fidèle servante. Elle l'accompagnait depuis les premiers jours, assistant avec fierté à l'ascension qui avait fait de lui, simple marchand, le plus puissant personnage du pays. Le front enfoui dans le tapis bleu de Perse, elle tenait son visage rond et jovial partiellement dissimulé derrière ses mains jointes. Sorn était le plus ancien membre de son personnel, qui totalisait maintenant près de six cents personnes. Phaulkon la savait d'une loyauté absolue. Elle aurait fait n'importe quoi pour lui. En retour, il se montrait généreux avec elle, la complimentait fréquemment pour ses bons plats et suivait ses recommandations à l'égard des autres serviteurs.
Dans les premiers temps, elle lui procurait de belles esclaves pour satisfaire tous ses désirs mais, depuis qu'il avait épousé Maria, tout avait changé. Le catholicisme fervent de sa femme lui interdisait désormais ces pratiques - du moins officiellement. A présent, Sorn comblait d'autres besoins plus en rapport avec son rang élevé : elle lui fournissait des espions.
Au Siam, les liens familiaux étaient très étroits et considérés comme sacrés. Les espions recommandés et formés par la vieille servante lui étant tous apparentés d'une manière ou d'une autre, Phaulkon pou-vait donc compter sur leur fidélité. L'espionnage étant, par essence, une activité à hauts risques, il veillait à ce que tous ses informateurs soient récompensés en conséquence. En retour, ses agents se montraient d'une efficacité et d'une loyauté à toute épreuve.
Profondément attaché à cette femme qui avait tenu dans sa vie une place plus grande que quiconque, Phaulkon sourit à Sorn.
« Eh bien, es-tu venue me proposer quelque nouvelle recette irrésistible?
- Puissant Seigneur et Maître, je voudrais bien apporter d'aussi plaisantes nouvelles. Mais il semblerait que des ennuis se profilent à l'horizon. Le jeune Krit nous a fait parvenir une lettre depuis le palais d'Avuthia. Il était convenu qu'il ne se manifesterait que si l'information était trop importante pour être transmise par les voies habituelles. La voici donc. Elle est arrivée ce matin.»
Elle regarda son maître briser le sceau et vit son regard s'assombrir tandis qu'il lisait et relisait la lettre.
« Krit est menacé des plus grands dangers, mur-mura-t-il, soucieux. C'est le fils de ta sœur, n'est-ce pas?
- De ma cousine, maître. Il est encore très jeune, à peine seize ans, je crois.
- Il devient beaucoup trop risqué pour lui de rester au service du prince. Le contenu de cette lettre va m obliger à agir et, quand je le ferai, les hommes du prince chercheront immanquablement à savoir d'où vient la fuite. Krit sera probablement soupçonné en premier. Arrange-toi pour qu'il quitte immédiatement le palais par tous les moyens - peu importe ce que cela coûtera. Nous devons bien avoir des gardes ralliés à notre cause là-bas, n'est-ce pas?
- Certainement, maître, sa fuite est déjà prévue.
- Très bien. Nous trouverons un endroit pour le cacher ici. N'est-ce pas ce joli garçon dont le prince est entiché ? »
Sorn baissa un peu plus la tête. « Il s'agit bien de lui, maître. Le prince a toujours eu autant d'attirance pour les garçons que pour les filles. Il y a aussi une jeune fille qui travaille
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