Le dernier vol du faucon
là-bas avec Krit, mais elle n'est pas au courant de ce qu'il fait pour vous. Son Altesse royale les aime tous les deux et leur demande parfois de s'ébattre devant lui pendant qu'il les regarde. »
Dès que Sorn eut quitté la pièce, Phaulkon se mit à aller et venir, plongé dans ses pensées. La révélation des projets de Petraja lui avait glacé le sang. Certes, il savait déjà à quoi s'en tenir avec le général siamois, mais l'étendue de sa duplicité venait de le prendre par surprise. Comptait-il réellement accorder son soutien au frère du roi, cet être veule, ce pédéraste débauché qui n'avait pas craint de porter atteinte à l'honneur du souverain ? Un monarque juste et bon auquel il avait, jusqu'ici, consacré toute sa vie et dont l'appui ne s'était jamais démenti à son égard ?
La première réaction de Phaulkon fut de faire arrêter le général. Malgré son rang élevé parmi les mandarins, le Barcalon représentait une hiérarchie supérieure. Mais comment se saisir de l 'un des plus proches conseillers du roi sans une explication appropriée ? Il avait besoin de preuves, de preuves irréfutables à présenter au roi. Et même alors, il ne serait pas facile de dire à son maître âgé et malade que le président de son Conseil privé, son ami d'enfance, était un félon qui ne songeait qu'à comploter pour le perdre. La santé délicate du Seigneur de la Vie résisterait-elle à une telle révélation ?
Ses pensées furent interrompues par un domestique annonçant l'arrivée du père de Bèze. Enfin! Il y avait déjà deux jours qu'il avait demandé au jésuite de venir le voir et il avait dû lui envoyer plusieurs rappels. Le petit bonhomme allait devoir s'expliquer. Avant de partir pour Mergui, Phaulkon l'avait nommé médecin privé de Sa Majesté et, malgré cela, la santé du roi s'était fortement détériorée. Était-il possible, ainsi que le prétendait Maria, que de Bèze ait été contraint de ne plus prodiguer ses soins au roi ?
Le prêtre franchit le seuil de la porte et s'arrêta pour s'incliner profondément. En le voyant, Phaulkon se rappela combien il aimait ce petit homme rond et chauve, certainement le plus intelligent de tous les jésuites et, de loin, le meilleur médecin qu'on puisse trouver au Siam. Toujours jovial, il savait écouter avec patience et sympathie tous ceux qui venaient lui exposer leurs problèmes.
Phaulkon se leva pour le saluer. «Eh bien, mon Père, il est plus difficile de vous joindre que de gagner le royaume du ciel. Où diable étiez-vous passé ? »
De Bèze se redressa. Des traces de contusions étaient encore visibles sur son visage. «J'ai été contraint de me cacher. Le soutien, connu de tous, que je porte à votre cause, mon ami, est à l'origine de mes problèmes. Mes frères en religion ne me font plus confiance et me traquent pour m emprisonner de nouveau. Je tiens à ma liberté et, pour cela, mieux vaut pour moi ne pas me faire remarquer. »
Une ombre traversa son visage. «Je peux cependant vous affirmer que mes frères jésuites sont directement responsables du tragique déclin du roi. Car on m'a physiquement empêché de me rendre à son chevet.
- Ils vous en ont empêché parce qu'ils souhaitent sa mort. C'est une tentative de meurtre.
- Oui. Le meurtre semble être à l'ordre du jour. » De Bèze jeta au Grec un regard tendu.
« Que voulez-vous dire ?
- Vous n'êtes donc pas au courant?» Le prêtre scruta le visage de Phaulkon. «Malthus a été assassiné par un inconnu. Juste au moment où il s'apprêtait à convaincre le général Desfarges de vous retirer son appui. Naturellement, mes frères vous désignent comme premier coupable.
- Vous n'imaginez tout de même pas que je...? finit par articuler Phaulkon, abasourdi.
- Ce que je crois est sans importance pour l'instant, Constant.
- Pas pour moi ! »
Il y eut une pause. Une bouffée de vent pénétra
soudain dans la pièce dont les fenêtres étaient maintenues ouvertes par de longues tiges de bambou. Le prêtre étudiait attentivement Phaulkon. Il l'aimait beaucoup, mais il y avait cependant des moments où il ne savait s'il pouvait lui faire vraiment confiance. Certes, tout au long des quatre années qu'il venait de passer au Siam, il avait eu maintes fois l'occasion de constater le dévouement du Barcalon à la cause jésuite. Mais quels étaient ses véritables objectifs ?
«Très bien, alors disons plutôt que je vous crois trop malin pour
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