Le dernier vol du faucon

la disparition de Krit, le prince était entré dans une violente colère, les menaçant tous de les mettre à mort. Jamais encore ils n'avaient vu leur maître dans une telle fureur. Et voilà qu'on leur ordonnait de se mettre debout, eux qui, jusque-là, devaient toujours se tenir aplatis humblement sur le sol. Était-ce le commencement de la fin ?
    Chao Fa Noi les observa longuement, l'un après l'autre. Le soleil matinal déjà brûlant frappait leurs têtes découvertes, couvrant leurs fronts de luisants filets de sueur. Mais la chaleur n'était pas seule en cause... ils mouraient de peur.
    La disparition de Krit avait accablé le prince. Il était convaincu, à présent, que le garçon avait surpris les paroles de Petraja. Impossible, cependant, de désobéir au général car il ne pouvait se permettre de perdre son appui.
    Chao Fa Noi fronça les sourcils. La perte du garçon le plongeait dans le plus grand désarroi. Krit comptait en effet parmi les plus talentueux de ses partenaires érotiques, il semblait né pour le plaisir. En outre, l'amour que portait l'adolescent à la jeune Choom - une amante très douée, elle aussi - pimentait leurs rendez-vous de scènes exquises. Lorsque les deux jeunes gens s'unissaient sous ses yeux, le spectacle qu'ils lui offraient était une véritable œuvre d'art. Le prince prenait plaisir à les regarder jouir l'un de l'autre et à intervenir au moment précis où ils approchaient de l'orgasme, leur ravissant ainsi le bénéfice de leur passion réciproque. Où trouverait-il jamais un couple capable d'une telle perfection et comprenant si bien ses propres désirs ?
    Krit avait probablement fui les menaces que Petraja faisait peser sur lui, mais Chao Fa Noi espérait qu'il reviendrait à cause de Choom. Depuis le départ de son jeune amant, la jeune fille, inconsolable, ne cessait de sangloter, confinée dans sa chambre. Le prince ne voulait pas la perdre. Elle pourrait encore lui don-
    ner du plaisir et servir d'appât pour ramener Krit. De plus, lorsqu'il l'avait interrogée, elle semblait sincèrement tout ignorer de la situation.
    Il continua de dévisager les esclaves de ce même regard inflexible qu'il avait vu la veille sur le visage de Petraja.
    «Ainsi, vous êtes tous innocents? Personne n'a rien vu ni rien entendu ? »
    Il laissa échapper un ricanement, mais seul le silence lui répondit. Sa voix s'enfla.
    «Vous voulez me faire croire que le jeune Krit peut disparaître sans laisser de traces, franchir huit postes de garde et passer le portail principal sans qu'aucun de vous ne se soit aperçu de quoi que ce soit?» Il marqua une nouvelle pause, scrutant leurs visages. Comme tous se taisaient, il lança: «Très bien. Dans ce cas, vous serez tous mis à mort ! »
    Un vent de panique courut parmi les esclaves qui se jetèrent aux pieds de Chao Fa Noi en gémissant et pleurant. L'un d'eux, plus âgé, se redressa cependant sur ses genoux et fit signe aux autres de se taire. Les cris s'apaisèrent lentement. Sa tête grise respectueusement courbée, son torse brun incliné très bas malgré son âge, l'homme s'adressa au prince sur un ton déférent :
    « Puissant Seigneur et Maître, mon épouse et moi avons eu une vie longue et heureuse au service bienveillant de Votre Altesse et nous vous offrons humblement nos deux vies pour épargner celles des autres. » Le prince ne put s'empêcher d'être ému devant la noblesse de cœur de ces serviteurs dont l'existence était pourtant si austère. Non sans un certain malaise, il les compara à lui-même et jeta un regard embarrassé au vieil homme.
    «Ta loyauté, Vichit, mérite une autre récompense que la mort et, à cause de toi, j'épargnerai ceux qui sont présents, à l'exception de deux d'entre eux. Mais à une seule condition. » Il les considéra un à un. « Personne ne doit jamais savoir que la fuite de Krit est restée impunie et vous devrez tous vous engager à
    affirmer sous serment que ce sont bien Krit et Choom qui ont été exécutés aujourd'hui. Si jamais le moindre murmure contraire parvenait jusqu 'à moi, vous seriez tous mis à mort sans autre recours. M'avez-vous bien compris ? »
    Les esclaves approuvèrent, mais leurs visages révélaient que leur supplice n'était pas terminé. Deux d'entre eux allaient mourir. Le prince parcourut leurs rangs et choisit un jeune couple à peine plus âgé que Krit et Choom. Si Petraja enquêtait, il apprendrait qu'un jeune homme et une jeune fille avaient bel