Le dernier vol du faucon
Quand il lui avait fait observer que le grand roi catholique de France avait plusieurs maîtresses, souvent même simultanément, elle s'était contentée de lui répondre qu'elle n'était pas mariée avec le roi Louis. Phaulkon avait fait tout son possible pour arriver avec elle à un compromis, renvoyant toutes les esclaves qui partageaient autrefois sa couche, à l'exception de Sunida dont il continuait de taire l'existence. Le grand Naraï aimait souvent le taquiner en lui rappelant que l'Église catholique n'admettait guère de tels comportements. Mais il n'en avait pas moins proposé d'héberger Sunida au Palais. Là, le secret serait bien gardé puisque aucune femme du harem royal n'était autorisée à sortir de ces murs.
Naturellement Maria ignorait cet arrangement, cependant ses soupçons demeuraient en éveil. À chacune de ses crises de jalousie, le nom de Sunida revenait sur ses lèvres. Phaulkon ne parvenait pas à comprendre pourquoi Maria continuait à se montrer aussi inflexible en la matière alors qu'elle était née et avait grandi au Siam. Mais, tout au long de son enfance, ses maîtres jésuites lui avaient inculqué des principes rigides dont elle ne pouvait plus, désormais, s'affranchir, même s'ils étaient en totale contradiction avec les mœurs de la culture siamoise.
Ses éducateurs catholiques ne lui avaient pas rendu service. En amour Maria se montrait timide, introvertie, résultat évident des tabous chrétiens sur le « péché de la chair». Les jésuites n'éduquant pas, en principe, les filles, ils avaient fait une exception pour Maria en l'honneur de son illustre arrière-grand-père, premier martyr chrétien du Japon.
La jeune femme ne manquait pourtant pas d'amis siamois qui l'aimaient et l'admiraient pour ses œuvres charitables. Mais elle ne pouvait leur confier ses soupçons sur la fidélité de son époux car ils ne l'auraient pas comprise. A leurs yeux, le comportement du Barcalon n'avait rien que de normal. Isolée, Maria était devenue la victime de son éducation.
Pourtant, Phaulkon avait du respect pour l'intelligence et le sens politique de sa femme. Dès le début de leur union, il avait éprouvé pour elle une sincère affection, appréciant sa compagnie, sauf dans les moments où l'ombre de Sunida surgissait dans sa pensée déformée et la mettait en rage. À la longue, cependant, ses reproches et ses constantes querelles avaient fini par le lasser. La passion de sa vie, la femme qu'il adorait, la seule auprès de laquelle il se détendait était Sunida. Jamais elle ne lui posait de question sur sa conduite. Elle incarnait tout ce qu'il aimait dans le Siam : la beauté et la tolérance, la candeur enfantine, la joie de vivre spontanée, la grâce inégalable. Sunida avait hérité de ce charme irrésistible, de cet humour espiègle si caractéristiques de son peuple. Si Maria avait été une compagne, Sunida, elle, exerçait sur lui une véritable fascination. Une Aphrodite dotée d'une extraordinaire intuition, sensible, loyale, passionnée.
La jeune Siamoise était logée à proximité du Saint des Saints, entre les appartements des princes royaux - vides depuis que ces derniers avaient été exilés à Ayuthia - et le labyrinthe abritant le harem du Seigneur de la Vie.
Phaulkon gratta doucement à la porte; n'obtenant pas de réponse, il frappa de nouveau. Cette fois, il y eut un petit cri de reconnaissance et le panneau bascula lentement vers l'intérieur avec un léger grincement.
«Oh, mon Seigneur, vous enfin!» murmura une voix.
La porte s'ouvrit toute grande, révélant la svelte silhouette de Sunida tombant sur le sol avec la grâce d'une gazelle. Elle leva vers lui ses grands yeux en amande brillant d'une lumineuse innocence. Puis elle joignit les mains respectueusement au-dessus de son front, découvrant un sourire radieux.
Grande pour une Siamoise, d'une étonnante beauté, elle avait de longs membres bien proportionnés et une peau couleur de miel. Il se dit que les images idéales qu'il emportait d'elle dans ses déplacements ne rendaient jamais assez hommage à sa réelle beauté. Ses magnifiques cheveux se répandaient en nappe sombre sur ses larges épaules, venaient effleurer les courbes de ses seins nus avant de retomber en cascade jusqu'à sa taille mince, drapée d'un panung turquoise. Son nez droit était à peine épaté, sa bouche pleine et sensuelle.
En voyant son maître, elle poussa un soupir de plaisir.
«Où est ma petite
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