Le dernier vol du faucon
tourna vers les autres avec un soupir de soulagement. «C'est fini, annonça-t-il. Elle a avoué.» Très pâle, Nellie s'approcha d'elle et l'enlaça pour la réconforter tandis que Mark lui prenait la main.
«Ne vous inquiétez pas, ils ne lui ont pas fait de mal, précisa de Bèze. Elle nous a dit ce que nous voulions savoir.
- Et qu'a-t-elle dit? demanda Mark, intrigué.
- Elle aurait prêté son crucifix à un autre converti qui avait perdu le sien. Craignant d'être châtié pour cette négligence, il lui avait emprunté l'objet en lui promettant de le lui rendre dès qu'il s'en serait fait refaire un autre. En échange, il lui a remis une grosse somme d'argent qu'elle a accepté, car elle avait besoin d'acheter des médicaments pour sa mère malade. Au Siam, les devoirs envers la famille sont prioritaires, en particulier à l'égard des parents.
- Mais pourquoi n'a-t-elle pas raconté cela tout de suite au lieu de s'exposer à une telle épreuve? interrogea Mark, perplexe.
- Par peur des représailles. Elle dit que l'homme auquel elle a prêté sa croix a des amis haut placés. Il a menacé de la tuer si jamais elle révélait son nom.
- Et l'a-t-elle révélé?
- Oui, il s'appelle Somchai. »
Ducaze semblait à présent pâle et défait.
«Et vous la croyez! ricana-t-il. Alors que Somchai est l'un de nos plus anciens et plus dévoués convertis. Cette pauvre fille a probablement cité n'importe quel nom pour sauver sa peau. » Il jeta un regard venimeux à son frère jésuite. «Ces pratiques sont honteuses, de Bèze. Indépendamment de vos conclusions totalement erronées et dénuées de preuve, que croyez-vous que l'on va penser de nous ? Dès la fin du jour, toute la ville sera au courant de votre brutalité.
- Je vous répète que ces méthodes ne sont pas les miennes. »
Le supérieur prit un air dédaigneux. « Depuis quand les ruffians de Phaulkon donnent-ils des ordres aux Jésuites? »
Quand la fille lui fut enfin rendue, toujours claquant des dents et au bord de l'évanouissement, il la prit doucement par les épaules en lui murmurant des excuses. Tandis que le groupe reprenait le chemin du séminaire, le lieutenant Sautier se rapprocha du père de Bèze.
«Qui est donc cet homme qu'elle a dénoncé? Le connaissez-vous ? »
Ducaze ne laissa pas au Frère le temps de répondre. «Il s'agit du plus prometteur de nos jeunes élèves, un néophyte enthousiaste qui était sans doute le favori de Malthus. Cette accusation est risible.
- Si tel est le cas, mon Frère, observa calmement
de Bèze, Mme Tucker et son fils n'auront aucune difficulté à disculper Somchai quand ils le verront.
- Et moi, je vous répète que je suis gêné d'avoir à le convoquer pour des soupçons aussi déplacés», protesta Ducaze.
En entendant mentionner le nom de Somchai, la fille se remit à trembler et à gémir. Ducaze s'efforça de la calmer :
«Allons, mon enfant, lui dit-il en siamois, je sais que tu n'as pas réellement voulu le compromettre. Je suis certain que ce nom-là t'est venu à l'esprit sous l'effet de la panique.
- Mais vous allez le faire venir, n'est-ce pas?» bal-butia-t-elle, les yeux écarquillés par la peur.
Ducaze hésita. «Ne t'inquiète pas. Si nous l'interrogeons, ce ne sera pas en ta présence. » Ces mots parurent rassurer quelque peu la jeune Siamoise, mais le lieutenant Sautier intervint, l'air soucieux.
« Nous souhaitons confronter dès que possible cet homme aux deux témoins, mon Père. Le général Desfarges exige que nous ne négligions aucun indice. »
Ducaze hocha la tête en silence, l'air maussade. Lorsqu'ils eurent regagné les bâtiments du séminaire, il les pria de l'attendre dans son bureau tandis qu'il reconduisait la fille à son logement.
Une éternité parut s'écouler avant qu'il ne revienne, accompagné de Somchai, un jeune homme au regard ardent, au corps souple, athlétique. Le prêtre le poussa en avant dans la pièce avec un sourire complaisant.
«Somchai, nous désirons savoir si tu as déjà rencontré cette dame», demanda-t-il en agitant la main en direction de la jeune Anglaise.
Très émue, Nellie attendit que l'homme la regarde. Lorsqu'il se tourna vers elle, un frisson glacé la parcourut de la tête aux pieds et son cœur tressaillit sous le regard perçant de ces yeux étroits et sombres - des yeux qu'elle n'oublierait jamais. Instantanément, toute l'horreur de la scène qui s'était déroulée sur le bateau lui revint en
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