Le discours d’un roi
S’exprimant d’une voix claire et ferme – sans la moindre trace du handicap qui avait tant tourmenté son père –, elle rendit hommage à ceux qui servaient toujours au sein de l’armée et remercia ses sujets pour leur « loyauté et l’affection » qu’ils lui avaient témoignées depuis son accession au trône, dix mois plus tôt. « Mon père et mon grand-père avant lui ont consacré leur vie à resserrer les liens entre nos peuples et à défendre les idéaux qui leur tenaient à coeur. Je m’efforcerai de poursuivre leur travail. »
Logue ne dit pas ce qu’il pensa de ce discours, ni même s’il l’écouta. Ses services n’étaient plus requis et sa santé déclinait. Il passa les fêtes dans son appartement, entouré de ses trois fils et de leur famille : Valentine avec sa femme Anne et leur petite fille de deux ans, Victoria ; Laurie, Jo et leurs enfants, Alexandra, quatorze ans, et Robert, dix ans ; et enfin Antony accompagné d’Elizabeth qu’il épouserait moins d’un an plus tard.
Peu après le Nouvel An, Logue tomba malade une dernière fois. Il resta alité pendant plus de trois mois et une infirmière à domicile fut embauchée pour s’occuper de lui, mais il finit par tomber dans le coma. Il mourut le 12 avril 1953 d’une insuffisance rénale, moins de deux mois après avoir fêté ses soixante-treize ans. Dans ses papiers, on découvrit deux invitations au couronnement de la reine, la seconde ayant probablement été envoyée en l’absence de réponse à la première.
Les nécrologies qui parurent en Angleterre, en Australie et aux États-Unis étaient brèves : « M. Lionel Logue, chevalier de l’ordre de Victoria, mort hier à l’âge de soixante-treize ans, était l’un des plus grands spécialistes du traitement des défauts d’élocution et avait principalement aidé le roi George VI à surmonter ses problèmes d’élocution, écrivit le Times , entre le portrait de l’ancien président polonais et le directeur d’une société américaine. Il fut personnellement proche du roi pendant longtemps. » Quant à sa technique, le journal notait simplement : « Sa méthode consistait notamment à apprendre à ses patients à respirer correctement afin de maintenir un débit naturel. »
Quelques jours plus tard, des lecteurs faisaient part de leurs commentaires : « Permettez-moi d’utiliser vos colonnes pour rendre un humble hommage à l’oeuvre de M. Lionel Logue, écrivit un certain J. C. Wimbusch. Ayant compté parmi ses patients en 1926, je peux vous assurer qu’il était doué d’une patience remarquable et faisait preuve d’une sympathie presque surhumaine. C’est dans sa demeure de Bolton Gardens que j’ai rencontré notre défunt roi, alors duc d’York. Je suis sûr que des milliers de gens bénissent aujourd’hui comme moi, le nom de Lionel Logue 94 . »
Les funérailles de Logue eurent lieu le 17 avril en l’église Holy Trinity de Brompton. Le corps fut incinéré. La reine et la reine mère envoyèrent des représentants, ainsi que le haut-commissariat d’Australie. Par son travail avec le roi, Logue avait reçu honneur et célébrité, mais étrangement le roi ne l’avait jamais anobli et Logue ne fut jamais riche. Dans son testament, dont le journal The Times publia des extraits le 6 octobre, il laissait à ses héritiers la modeste somme de 8 605 livres, soit un peu plus de 200 000 euros aujourd’hui.
Plus d’un demi-siècle après les faits, la question de savoir comment Logue a réussi là où tous ses prédécesseurs avaient échoué reste assez mystérieuse. Les divers exercices de respiration sur lesquels il insistait tant semblent avoir eu un effet bénéfique, du moins le roi en paraissait-il convaincu. Autre élément important : en relisant les textes du roi, Logue pouvait reformuler des phrases sur lesquelles il savait que son royal élève risquait de buter. En un sens, il s’agissait moins de guérir le problème que d’éviter sa manifestation. Il ne fait toutefois aucun doute qu’en supprimant les principales difficultés de ses discours, Logue parvint à redonner confiance au roi et à lui montrer que l’expression orale en général – et toutes les difficultés que cela représentait – n’était pas une tâche si insurmontable.
Au bout du compte, l’élément décisif semble avoir été la capacité de Logue à persuader le roi, dès le début, que son bégaiement n’était pas le
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