Le discours d’un roi
plan social qu’intellectuel. Conformément à la tradition royale, aucun n’avait eu de contact avec d’autres enfants du même âge. Leurs camarades (qui avaient tous ou presque fréquenté la primaire) étaient, eux, habitués à la discipline, à être loin de leurs parents, à la rudesse du logement, à la mauvaise nourriture et aux étranges rituels qui étaient considérés comme faisant partie intégrante d’une éducation anglaise de la haute société.
À cela s’ajoutait la brutalité ambiante. Loin de bénéficier d’un traitement de faveur de la part de leurs futurs sujets du fait de leurs origines royales, les deux garçons étaient impitoyablement pris pour cibles. Un jour, David dut subir une mascarade imitant l’exécution de Charles I er et fut obligé de poser sa tête sous une fenêtre à guillotine qu’on lui abattit violemment sur le cou. Bertie, surnommé « sardine » à cause de son physique fluet, fut retrouvé par un camarade, saucissonné dans un hamac, appelant à l’aide dans un couloir qui menait au mess. Les sports d’équipe avaient une importance capitale, et les deux garçons étaient, dans ce domaine, désavantagés, car ils manquaient d’expérience au football et au cricket.
Les problèmes de Bertie étaient aggravés par ses résultats catastrophiques. Osborne était en fait un établissement technique, où l’accent était mis sur les mathématiques, la navigation, les sciences et le génie. S’il était doué pour la partie pratique du génie et du métier de marin, il était d’un niveau déplorable en mathématiques, et généralement dans les derniers de sa classe. Là encore, son bégaiement joua très certainement un rôle. S’il disparaissait presque totalement quand il était avec des amis, il se manifestait de façon dramatique en classe. Il peinait à prononcer le « f » de fraction et, un jour, ne put répondre quand on lui demanda à quoi correspondait la moitié d’une moitié car il ne parvenait pas à dire la première consonne du mot « quart » – tout cela lui valant malheureusement de passer pour un idiot. Son père, plus à l’aise quand il s’agissait de s’occuper de ses enfants à distance, semblait le comprendre. « Watt [le second maître] pense que Bertie est timide en classe, écrivit-il à Hansell. Je suppose que c’est sa répugnance à montrer qu’il a des difficultés à s’exprimer qui l’empêche de répondre, mais j’espère qu’il finira par la surmonter 21 . »
Cela allait prendre des années. Lors des examens de fin d’études, en décembre 1910, Bertie termina 68 e sur 68. « Je crains de ne pouvoir vous cacher le fait que P.A. s’est pris une veste, écrivit Watt à Hansell. Il était tout à fait surexcité ces derniers jours à l’idée de rentrer chez lui, or, c’étaient les jours des examens, et il s’en est fort mal tiré. »
C’est à cette période que mourut son cher grand-père, Édouard VII. Le 7 mai, Bertie, de la fenêtre de son ancienne salle de classe à Malborough House, avait vu le Royal Standard, le drapeau officiel du souverain, flotter à mi-mât au-dessus de Buckingham Palace. Deux jours plus tard, vêtus de leurs uniformes de cadets de la Royal Navy, David et lui avaient assisté à la cérémonie tandis que leur père était proclamé roi depuis le balcon de Friary Court, à St. James’s Palace. Le jour des obsèques de leur grand-père, ils suivirent son cercueil à Windsor de la gare jusqu’à la chapelle St. George. Leur père étant désormais roi, David se retrouvait héritier du trône, Bertie venant en deuxième position dans l’ordre de succession.
Malgré ses piètres résultats scolaires, en janvier, Bertie atteignit l’étape suivante de son éducation. Il entra au Dartmouth Royal Naval College, où David était déjà en dernière année. Une fois de plus, Bertie dut soutenir la comparaison avec son frère aîné qui, du reste, n’était pas vraiment brillant non plus. « On se prend à souhaiter qu’il fasse davantage preuve de l’acuité et du sens de l’appréciation du prince Édouard », nota Watt 22 .
Toutefois, la situation s’améliora l’année suivante, entre autres parce que David avait quitté Dartmouth pour Magdalen College, à Oxford, permettant à son cadet de sortir de son ombre. Les cours s’écartaient peu à peu de la théorie pour s’orienter vers les aspects pratiques du métier de marin, auxquels il était plus
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