Le discours d’un roi
charlatans désireux de s’enrichir. Le conseil exécutif s’alarma notamment en apprenant l’existence, à l’été 1936, des activités d’un certain Ramon H. Wings, soi-disant « spécialiste de la méthode allemande de traitement du bégaiement et du balbutiement », qui plaçait d’immenses affiches dans les stations de métro, sur les panneaux d’affichage et dans la presse, promettant cours et conseils gratuits. Ses conférences attiraient des auditoires d’un millier de personnes, en quête d’un remède sûr et rapide pour leurs ennuis.
Une fois les patients séduits, on leur offrait une consultation gratuite, puis un forfait de dix cours au tarif de dix guinées. Ils étaient ensuite divisés en groupes de vingt à cent personnes ; après quelques sessions, les meilleurs d’entre eux enseignaient eux-mêmes, et organisaient parfois à leur tour de grandes rencontres publiques, en une sorte d’effet boule de neige. Après les dix cours, Wings déménageait dans une autre ville et recommençait le même processus. L’un dans l’autre, il s’agissait d’une entreprise plutôt lucrative.
Ces promesses d’une guérison rapide irritèrent les membres du conseil exécutif, qui jugeaient que les patients nourriraient ainsi des espoirs irréalistes. Il est vrai que de telles sessions de groupe, menées par un chef charismatique, pouvaient parfois, grâce au pouvoir de la suggestion, entraîner une nette amélioration de « certains cas névrotiques », rendant possibles les témoignages élogieux mis en avant par les publicités. Mais de tels progrès restaient temporaires. Des problèmes comme le balbutiement, le bégaiement, le zézaiement, la fente palatine et le retard de langage ne pouvaient être traités qu’avec le temps, et en consultations individuelles. Le conseil ne s’inquiétait pas seulement pour les patients ; il se faisait aussi du souci quant aux effets d’une concurrence aussi déloyale sur ses propres membres. En effet, la Société leur interdisant toute publicité, ils ne pouvaient se constituer une clientèle que grâce aux recommandations de la profession médicale.
Dans une lettre adressée au sous-secrétaire d’État du département de l’immigration datée du 2 octobre 1936, la Société exigeait d’agir contre Wings. « M. Wings perçoit entre 5 000 et 10 000 livres par an, et la majeure partie de cette somme provient de l’exploitation de personnes crédules et ignorantes, affirmait-elle. Si rien n’est fait pour arrêter rapidement cette concurrence déloyale et réduire le nombre croissant de soi-disant spécialistes offrant des consultations gratuites, les orthophonistes britanniques de notre Société n’auront plus que leur travail bénévole et leurs interventions à l’hôpital. Les patients, déçus par une prétendue guérison, mettent souvent des années avant de faire de nouveau confiance à quelqu’un susceptible de résoudre leur problème. » On ne sait si l’État finit par intervenir.
En décembre de la même année, le duc écrivit de nouveau à Logue, après que celui-ci l’avait félicité pour une de ses allocutions : « Dans l’ensemble, je suis très satisfait des progrès que je continue de faire. Je me donne beaucoup de mal pour répéter mes discours, je dois encore changer quelques mots à l’occasion. Je me défais progressivement de cette “peur” ; parfois, le processus est très lent. Cela dépend vraiment de comment je me sens, et du thème du discours. »
Maintenant que le duc avait accompli autant de progrès, il est possible que Logue, désormais âgé de cinquante-cinq ans, se soit résolu à l’idée que leur travail ensemble était plus ou moins terminé. Mais il aurait eu tort. La vie du duc était sur le point de changer du tout au tout, et celle de Logue aussi.
Depuis la maladie de George V, en 1928, on s’inquiétait pour sa santé ; en février 1935, une récidive de ses ennuis bronchiques nécessita une période de repos à Eastbourne. Le roi se rétablit suffisamment pour prendre part aux festivités de son jubilé d’argent au mois de mai, où il sembla éprouver une réelle surprise face à l’accueil enthousiaste des foules. « Je n’avais aucune idée qu’ils pensaient cela de moi, dit-il en rentrant d’une traversée des quartiers est de Londres. Je commence à croire qu’ils doivent m’aimer pour qui je suis 57 . » Lorsqu’il apparut à Spithead en juillet pour
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