Le discours d’un roi

maison ». On n’y trouva aucune allusion à sa relation professionnelle avec le duc, mais ses lecteurs devaient certainement être au courant. « Le plus gros défaut de l’élocution moderne est sa rapidité », écrivit Logue.
    On croit à tort que l’activité est synonyme d’accomplissement ; il s’agit en vérité d’un mauvais usage de l’énergie. Elle est l’ennemie de la beauté.
    La voix anglaise est l’une des plus belles au monde, mais elle est souvent gâchée par une mauvaise élocution. Peu sont ceux qui saisissent à quel point elle peut être un atout. Gladstone n’a-t-il pas dit : « Le temps et l’argent dépensés dans l’amélioration de la voix rapportent bien plus que tout autre investissement » ? C’est là une affirmation osée, mais je suis bien de cet avis.
    Peu de personnes connaissent leur propre voix, car il est difficile de s’« entendre ». Je conseille donc à tous ceux qui peuvent se le permettre de s’enregistrer. On est souvent surpris, car on n’en a pas l’habitude. Les défauts d’élocution font partie des grands fléaux de la civilisation ; ils sont presque inconnus chez les peuplades indigènes. Les nerfs sont grandement responsables de ces troubles. La voix est une indication certaine, non seulement de la personnalité, mais aussi de la condition physique. J’ai étudié les voix toute ma vie, et je peux distinguer les particularités physiques d’une personne simplement en l’entendant parler, même si je suis dans une autre pièce.
    Chaque patient requiert une gestion légèrement différente, ainsi qu’une analyse personnalisée de son état psychologique. Les conditions qui insuffleront suffisamment d’assurance à un homme pour surmonter son défaut pourront faire surgir ce même défaut chez un autre.
    Il m’est arrivé d’avoir deux frères comme patients. L’un s’exprimait facilement en famille, mais ne pouvait s’adresser à des inconnus. L’autre n’avait aucun problème avec les personnes qu’il ne connaissait pas, mais du mal avec des amis ou des parents. Tous deux furent guéris grâce à des méthodes différentes, bien que les défauts fussent quasiment identiques. Les hommes ont presque le monopole des problèmes d’élocution. La proportion est d’une femme pour cent hommes.
    Lorsqu’une femme a un défaut de ce genre, il est généralement assez important ; mais, si elle s’efforce de le surmonter, elle y arrive presque toujours. Je crois que c’est surtout dû à son pouvoir de concentration qui, je l’ai toujours soutenu, est plus grand que celui d’un homme.
    Le bégaiement est l’un des défauts d’expression les plus répandus ; on peut presque toujours le guérir. En fait, sauf dans de rares cas de malformations physiques, la plupart de ces problèmes peuvent être résolus du moment que le patient y est déterminé. Mais, sans cette volonté de s’améliorer, tout traitement est sans espoir. Il m’est déjà arrivé de dire à des patients : « Je ne peux rien faire pour vous », [mais], si le patient coopère, même des cas extrêmes d’aphonie (perte totale de la voix) peuvent être traités.
    En 1935, afin d’apporter plus de respectabilité à sa profession, Logue fonda la Société britannique des orthophonistes. Il envoya un exemplaire du bulletin inaugural au duc, qui répondit, enthousiaste, le 24 juillet 1935 : « Je suis si heureux d’apprendre que vous ayez enfin pu concrétiser votre rêve, et j’espère que ce sera un succès. »
    L’objectif avoué de la Société était d’« établir la profession d’orthophoniste dans des conditions satisfaisantes en Angleterre et outre-mer, d’améliorer et de maintenir une qualité acceptable de conduite professionnelle, en relation étroite avec la profession médicale ». Plusieurs de ses membres, à l’instar de Logue, étaient des enseignants avec une expérience de praticien privé ; certains travaillaient dans des hôpitaux. Plus tard, la Société allait ouvrir une École hospitalière nationale d’orthophonie où, après avoir passé deux ans à étudier la phonétique, la pédiatrie, l’orthodontie ou les maladies de l’oreille, du nez et de la gorge, les étudiants recevraient le titre d’auxiliaire médical (en orthophonie).
    Inévitablement, compte tenu du nombre de personnes atteintes de bégaiement (et du découragement qu’en éprouvent beaucoup à trouver une solution), le domaine attirait de nombreux