Le discours d’un roi
passer la flotte en revue, de nombreuses personnes dans l’assistance furent convaincues qu’il continuerait de régner pendant plusieurs années.
Mais toute amélioration restait relative. Le roi, qui venait de fêter son soixante-dixième anniversaire, était souffrant, et lorsqu’il revint de Balmoral à l’automne, ses proches remarquèrent que sa santé s’était sérieusement dégradée. La mort de sa jeune soeur, la princesse Victoria, au petit matin du 3 décembre, fut pour lui un choc terrible ; fait exceptionnel, il faillit à son devoir et annula la cérémonie d’ouverture du Parlement. À Noël, il se rendit à Sandringham à l’occasion des festivités habituelles et fit son discours à l’Empire, mais les auditeurs perçurent sa santé défaillante.
Le soir du 15 janvier 1936, le roi se rendit dans sa chambre à Sandringham, en se plaignant d’un rhume ; il ne la quitterait jamais plus vivant. Il s’affaiblit de jour en jour, sombrant régulièrement dans l’inconscience. « Je me sens très mal », écrivit-il dans la dernière entrée de son journal intime. Le 20 au soir, ses médecins, sous la houlette de lord Dawson de Penn, publièrent un bulletin dont les paroles allaient devenir célèbres : « La vie du roi tire paisiblement à sa fin. »
Cette fin eut lieu à 23 h 55, à peine une heure et demie plus tard, précipitée par Dawson, qui avoua dans des notes médicales (rendues publiques seulement un demi-siècle plus tard) lui avoir administré une injection létale de cocaïne et de morphine. Il avait agi, apparemment, afin d’empêcher son patient de souffrir davantage et pour épargner trop de tension à la famille, mais aussi dans le but de s’assurer que le décès serait annoncé dans l’édition matinale du Times et non dans les « journaux moins convenables du soir ». À Londres, l’épouse de Dawson, contactée par son époux au téléphone, aurait conseillé au quotidien de retarder sa publication. Le lendemain matin, le journal annonça : « Une fin paisible à minuit ».
Le duc était accablé de chagrin. Les conséquences qu’aurait cet événement sur sa propre existence étaient dramatiques. S’il accomplissait déjà sa part de tâches royales, il était jusque-là plus ou moins resté à l’arrière-plan. Maintenant que son frère allait accéder au trône sous le nom d’Édouard VIII, Bertie devenait l’héritier présomptif, ce qui impliquait qu’il devrait s’occuper de nombreuses activités dont s’était chargé Édouard. « Tout ce que nous savions, dans la salle de classe du 145, Piccadilly, c’était que brusquement, nous voyions beaucoup moins le bel oncle David aux cheveux dorés, écrivit Marion “Crawfie” Crawford, la nounou des enfants. Il passait moins souvent pour jouer avec ses nièces. »
Chapitre huit
Les 327 jours d’Édouard VIII
Aucun souverain britannique ne fut accueilli avec autant de bienveillance qu’Édouard, le fils aîné de George V, lors de son accession au trône. Que ce soit en raison de son courage, de sa beauté ou de son souci avoué de l’homme (et de la femme) ordinaire, le nouveau roi semblait incarner tout ce qu’il y avait de meilleur au XX e siècle. « Il est doué d’un vrai intérêt… pour toutes sortes de personnes et de situations, et il est riche d’une curiosité qui est aussi admirable que touchante chez tout homme, et inestimable chez un souverain : l’étude du genre humain », s’enthousiasmait The Times le 22 janvier 1936. Toutefois, son règne allait durer moins d’un an, et s’achèverait par l’une des plus grandes crises que la monarchie britannique ait jamais dû essuyer, contraignant son jeune frère à accepter un trône dont il n’avait jamais voulu et pour lequel il n’avait pas été préparé.
S’il fut remarqué dès son jeune âge pour son charme et sa beauté, Édouard avait toujours été un jeune homme réservé. Puis, en 1916, quand il eut vingt-deux ans, deux de ses écuyers le présentèrent à une prostituée expérimentée à Amiens qui, d’après un compte-rendu, « balaya d’un geste son extraordinaire timidité 58 ». Dès lors, il sembla s’efforcer de rattraper le temps perdu.
À l’instar de son grand-père, Édouard VII, Édouard adorait la vie nocturne londonienne. Diana Vreeland, une échotière spécialisée dans la mode, qui avait des relations, le qualifia de « prince doré », en déclarant que toutes
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