Le discours d’un roi
documents n’avaient souvent pas été lus ou étaient marqués de taches de verre à whisky. Pour la première fois, le ministère des Affaires étrangères dut filtrer les documents qu’il lui envoyait. Édouard en eut vite assez de ce qu’il décrivait comme « la corvée incessante du quotidien d’un roi » ; l’avertissement de George V selon lequel, en tant que monarque, son fils aîné « s’effondrerait en un an » commençait à prendre la valeur d’une prophétie.
Le roi était distrait, et la source de sa distraction n’était pas difficile à deviner. Pourtant, il se trouvait face à une sérieuse impasse : Wallis Simpson n’était pas prête à partir ; et de toute façon, il ne l’aurait pas laissée faire. Cherchant à résoudre la quadrature du cercle, on évoqua la possibilité d’en faire la duchesse d’Édimbourg, ou de contracter un mariage morganatique, à savoir une union où aucun des titres et privilèges du mari ne seraient transmis à la femme ni aux enfants, même si ce genre d’union n’avait encore jamais eu lieu en Grande-Bretagne. On suggéra aussi qu’Édouard laisse son destin entre les mains de son pays, ce qui ne manqua pas d’affoler les partis politiques 62 .
Stanley Baldwin, le Premier ministre conservateur, ainsi que d’autres membres du monde politique jugeaient que Mme Simpson n’avait pas l’étoffe d’une reine, et ils craignaient que les gouvernements des dominions ne soient du même avis. En tant que chef de l’Église d’Angleterre, Édouard ne pouvait épouser une femme déjà divorcée deux fois et dont les ex-maris étaient toujours en vie. La rumeur circulait qu’elle exerçait un contrôle sexuel sur lui ; on suggéra qu’elle n’avait pas un, mais deux autres amants, en plus d’Édouard. Certains avancèrent même qu’elle était un agent nazi.
Tant que Wallis était mariée à Ernest, la liaison restait de l’ordre du scandale, et on évitait la crise politique ou constitutionnelle. Mais les affaires progressaient de ce côté-là aussi. Bien qu’il y eût peu de doutes que ce fût l’adultère de Wallis avec le roi qui précipitât la rupture de son mariage, il était de coutume chez les messieurs soucieux d’éviter une trop grande honte à leurs épouses d’endosser le rôle du coupable. Ernest avait choisi le 21 juillet, le huitième anniversaire de son mariage, pour se faire prendre en flagrant délit par le personnel de l’hôtel de Paris, à Bray, sur la Tamise, près de Maidenhead, avec une certaine Mlle « Buttercup » Kennedy. Le mois suivant, le roi et Mme Simpson partirent faire une autre croisière, cette fois à l’est de la Méditerranée, à bord du yacht à vapeur le Nahlin . Leur voyage fut très suivi par la presse américaine et européenne ; leurs homologues britanniques gardèrent le silence.
Quand l’affaire fut portée au tribunal, le 27 octobre, aux assises d’Ipswich (choisies pour éviter qu’une audience à Londres attire trop d’attention médiatique), ce fut Wallis qui divorça d’avec son mari pour adultère plutôt que le contraire. La ville n’avait jamais vu pareille histoire 63 . L’épouse « bafouée » traversa majestueusement Ipswich dans une Buick canadienne conduite par le chauffeur du roi, à une telle vitesse que la voiture d’un cameraman, qui la suivait à plus de cent kilomètres heure, se trouva distancée. Le tribunal était sous haute surveillance : toutes les équipes de journalistes avaient été renvoyées de la ville, et deux photographes s’étaient fait détruire leurs appareils photo à coups de matraque. L’accès à la salle d’audience était également restreint : le maire, un magistrat d’Ipswich, n’y fut admis qu’après avoir argumenté avec ses propres officiers de police. Tous les sièges en face de Mme Simpson, debout à la barre des témoins, étaient vides. Seules quelques places auxquelles elle tournait le dos furent occupées.
Les membres du personnel de l’hôtel de Paris montèrent alors à la barre pour raconter le matin où, en apportant son thé à M. Simpson, ils l’avaient trouvé au lit avec une femme qui n’était pas Mme Simpson. Dix-neuf minutes plus tard, l’affaire était entendue, et Wallis avait obtenu son jugement provisoire de divorce, aux frais de son mari. Lorsqu’elle quitta le tribunal, la police verrouilla les portes derrière elle pendant cinq minutes, afin de retenir la presse. Sa Buick fila
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