Le discours d’un roi

premier discours au stade de Wembley. La blessure de ce terrible échec n’a jamais vraiment cicatrisé ».
    Il n’y aurait pas ce micro tant redouté dans l’abbaye, mais impossible d’y échapper pour le discours du soir. Logue ne savait trop s’il valait mieux qu’une dizaine de personnes soient présentes, ou qu’il se trouve seul avec le roi. « Quand il s’agit d’un discours ordinaire, il est presque parfait, s’exprime très bien, s’amuse ; mais il redoute le micro », écrivit-il dans son journal intime.
    Logue décida que la salle du premier étage, en face du bureau du roi, serait parfaite pour l’enregistrement, car elle était très calme, et donnait sur la cour principale. Un intendant avait découvert un vieux bureau au sous-sol ; on l’avait recouvert de feutre, et surélevé son couvercle incliné grâce à deux blocs de bois, jusqu’à ce que le dessus soit horizontal. Entre les deux, on avait disposé deux micros dorés et une lumière rouge. « Nous avons essayé assis à une petite table, mais il est plus à l’aise debout, écrivit Logue. C’est un vaillant combattant, et si un mot ne sort pas comme il faut, il me regarde avec un air affligé avant de continuer. Il n’y a que très peu de choses qui ne vont pas chez lui ; son seul vrai problème est cette “peur”. »
    Le même jour, Logue reçut un appel de son ami John Gordon, alors éditeur du Sunday Express depuis six ans. À l’approche du couronnement, les spéculations sur la réussite du roi à réciter son texte allaient bon train, et les journaux s’intéressaient de nouveau à son problème d’élocution, ainsi qu’au soutien apporté par Logue. Gordon lui lut un article sur le roi qui, au soulagement de Logue, ne mentionnait pas son nom. Même après tant d’années, il s’efforçait encore d’éviter la lumière des projecteurs.
    Une heure plus tard, Gordon l’appela pour lui dire qu’un certain M. Miller, reporter du Daily Telegraph , avait envoyé un article sur le roi au Sunday Express qui commençait par ces lignes : « Un homme aux yeux noirs et aux cheveux gris, âgé de 60 ans, un Australien, assiste constamment le roi, dont il est le plus grand ami. Ils s’appellent tous les jours, etc. »
    C’était, fit valoir Logue, « complètement faux. Très calomnieux, et cela sera très préjudiciable. John m’a demandé s’il avait mon autorisation pour agir. J’ai dit bien sûr que c’était vraiment dommage qu’on écrive de telles choses. John l’a envoyé chercher et lui a dit que l’article était faux, qu’il ferait beaucoup de dégâts. Il a flanqué une peur bleue à M. Miller, et a déclaré que s’il l’envoyait à un journal, il ne serait jamais plus publié. M. Miller a laissé l’article à John, en promettant que ça n’arriverait plus jamais. John m’a appelé pour me raconter la bonne nouvelle. Dieu merci ».
    Le matin du lundi 10, deux jours avant le couronnement, Logue se rendit au palais. Le roi, de toute évidence tendu, avait des poches sous les yeux. « Il m’a dit qu’il ne dormait pas très bien, et que ses proches ne comprenaient pas ce qui clochait, rapporta Logue. Je pense qu’il a les nerfs à vif. »
    Ce soir-là, à 8 heures, il y eut un nouveau rebondissement. Logue reçut un coup de fil l’informant qu’il figurait sur la liste de distinctions honorifiques du couronnement pour ses services rendus au roi. N’en croyant rien au début, il appela Gordon, qui confirma. Plus tard, il se rendit avec sa famille chez Gordon, où ils fêtèrent l’événement en débouchant une bouteille de champagne. Manifestement aux anges, Logue termina son compte rendu de la journée dans son journal de la façon suivante : « Tout est splendide. M.V.O. » – Member of the Victoria Order , Membre de l’ordre de Victoria.
    Quand Logue vit le roi l’après-midi suivant, il le remercia pour ce grand honneur. Le roi sourit et déclara : « Ce n’est rien. Vous m’avez aidé. Je compte récompenser ceux qui m’ont aidé. » Puis il sortit la médaille de son tiroir, la montra à Logue et dit : « Portez ceci demain. » La reine éclata de rire et félicita Logue.
    Logue et le roi écoutèrent l’enregistrement qu’ils avaient fait de son discours. Il était de qualité suffisante pour être diffusé, mais Logue espérait ne pas avoir à s’en servir. « S.M. [Sa Majesté] s’améliore de jour en jour, il apprend à maîtriser son