Le discours d’un roi
bien, mais qu’il était épuisé. Logue en convint, en ajoutant qu’il était dommage que sa surcharge de travail l’empêche d’avoir plus de temps pour lui. Cette impression se confirma lorsqu’il vit le roi plus tard dans la journée : il avait l’air exténué, et ils discutèrent longuement de son estomac fragile et de ses effets sur son élocution.
« Ils ne comprennent vraiment pas le roi, écrivit Logue dans son journal intime ce jour-là. Moi, qui le connais si bien, je sais quel travail il peut abattre tout en s’exprimant parfaitement ; mais si vous lui en donnez trop, sa fatigue influera sur son point faible, à savoir son expression. C’est idiot de leur part de le surcharger ainsi. Il va finir par s’écrouler, et ce sera leur faute 73 . »
Cette crainte d’un effondrement tombait à point nommé : on n’était qu’à quelques mois de la cérémonie d’ouverture du Parlement et, bien qu’il ne s’agît pas d’une épreuve semblable à celle du couronnement, elle représentait malgré tout un défi. On se posait aussi des questions sur la période des fêtes annuelles : le roi suivrait-il la tradition, établie par son père, de s’adresser par radio aux peuples de l’Empire ?
La cérémonie d’ouverture, où le souverain devrait lire le programme du gouvernement de Neville Chamberlain (Premier ministre depuis le mois de mai), était évidemment un événement incontournable dans l’exercice de ses fonctions royales. Cela ne l’empêcha pas de s’en inquiéter. Il ne pouvait oublier le talent avec lequel George V s’était adressé au Parlement dans le passé, et il avait peur de ne pas être à la hauteur, comme le fit remarquer Logue après un entretien le 15 octobre, lorsqu’ils lurent le texte ensemble. « Il s’inquiète encore du fait que son père était si doué pour ce genre de choses, écrivit Logue dans son journal intime. Comme je le lui ai déjà expliqué, il lui a fallu des années avant d’atteindre ce niveau d’excellence. »
Le roi progressait plutôt bien sur le texte lui-même, qui était de 980 mots, et il lui fallait dix à douze minutes pour le lire en entier. Mais il y avait un autre défi : celui de le réciter avec une lourde couronne sur la tête. Quand Logue vint pour une répétition la veille de la cérémonie, il fut surpris de trouver le roi assis sur sa chaise, en train de relire son discours, la couronne sur la tête.
« Il l’avait mise pour voir jusqu’où il pouvait se pencher à gauche ou à droite sans qu’elle tombe, écrivit Logue dans son journal le 25 octobre. Elle lui va si parfaitement qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter. » Après deux essais réussis, le roi posa la couronne.
Les deux hommes furent satisfaits de sa performance, même si son père ne quittait pas ses pensées. « Je ne l’ai jamais entendu parler si bien, et ne l’ai jamais vu si heureux, ni si en forme, écrivit Logue. Si le roi fait une bonne prestation demain, cela lui fera énormément de bien. Il n’y a aucune raison pour qu’il n’y arrive pas. Ce n’est que son complexe d’infériorité par rapport à son père qui le rend nerveux et l’inquiète. Sa voix était magnifique ce soir. »
Le discours au Parlement fut une belle réussite, et l’édition du week-end du Sunday Express le qualifia même de triomphe : « Il s’est exprimé lentement, mais sans hésitation, ni bégaiement. Le rythme qu’il s’est sagement imposé a insufflé aux mots de la dignité et une réelle beauté. » Le journal remarqua aussi que le roi avait pris de l’assurance au fil du discours, et qu’il avait même levé les yeux pour regarder son auditoire. « Nul besoin d’être devin pour comprendre ce qui se passait dans la tête de la reine, concluait l’article. Quand le roi a terminé, elle n’a pas pu dissimuler la fierté dans ses yeux. »
Restait encore la question importante du discours de Noël. Le 25 décembre 1932, George V avait lancé ce qui deviendrait une tradition : l’adresse radiophonique à la nation. Assis à un bureau, sous les escaliers de Sandringham, il avait lu les paroles écrites pour lui par Rudyard Kipling, le grand poète impérial, auteur du Livre de la jungle . « Je m’adresse de ma maison et de mon coeur à vous tous, à tous mes peuples à travers l’Empire, aux hommes et aux femmes isolés par les neiges, le désert ou la mer, où seules les voix des ondes peuvent les atteindre,
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