Le discours d’un roi
les hommes et les femmes de chaque race et couleur, qui voient dans la Couronne le symbole de leur unité », déclara-t-il.
George V s’exprima une nouvelle fois à la radio en 1935, où il évoqua non seulement son jubilé d’argent, mais aussi deux autres événements royaux de l’année : le mariage de son fils, le prince Henry, duc de Gloucester, et la mort de sa soeur, la princesse Victoria. Ces diffusions, qui avaient un ton très légèrement religieux, visaient à présenter le monarque comme le chef d’une grande famille comprenant non seulement le Royaume-Uni, mais aussi l’Empire ; plus d’un demi-siècle plus tard, sa petite-fille, Elizabeth, s’efforcerait de faire de même. Ses discours du 25 décembre, d’abord à la radio puis à la télévision, allaient devenir un élément important du rituel de Noël pour des dizaines de millions de ses sujets.
Mais George VI et ses proches ne voyaient pas le discours sous cet angle. Jugeant qu’il ne s’agissait pas d’une tradition nationale, mais tout simplement d’une décision personnelle prise par son père, le roi n’avait aucune intention de l’imiter. L’année précédente, son frère ayant abdiqué seulement deux semaines plus tôt, personne n’attendait de lui qu’il s’exprime sur les ondes le jour de Noël. Mais en décembre 1937, la situation était différente, et on réclamait notamment dans l’Empire que le nouveau roi s’adresse à ses sujets. Des milliers de lettres commencèrent à affluer à Buckingham Palace, réclamant un discours.
Toutefois, le roi se montrait encore réticent ; il était toujours aussi agité avant toute intervention en public, surtout s’il devait s’adresser seul dans un micro à des dizaines, voire des centaines de millions de personnes. Il semblait aussi penser qu’en donnant un tel discours il empiéterait d’une certaine manière sur la mémoire de son père.
Le 15 octobre, lors d’une réunion où Logue était présent, Hardinge proposa que le roi prenne la parole dans l’église le matin de Noël. Mais l’idée fut abandonnée par crainte d’offenser d’autres confessions. Le palais commençait à se faire à l’idée que le roi devrait délivrer un bref message à l’Empire, et après une entrevue le 4 novembre, quand Logue travailla avec lui sur quelques discours de routine, Hardinge lui soumit un brouillon qu’il déclara être plutôt bon.
Logue avait pourtant d’autres soucis. La rumeur erronée, mais persistante, courait que la princesse Margaret, désormais âgée de sept ans, souffrait du même défaut que son père. L’orthophoniste suggéra à Hardinge que, lors de sa prochaine apparition dans un film d’actualités, elle prononce quelques paroles (comme « Viens, maman », « Où est Georgie ? », ou, simplement, qu’elle appelle le chien), « tout ce qui montrera qu’elle peut parler, et mettre fin une bonne fois pour toutes à la rumeur selon laquelle elle aurait du mal à s’exprimer ».
Novembre passa ; le monarque fit un bon discours en l’honneur de Léopold III, roi des Belges. Par ailleurs, il subit sans se laisser perturber un incident pendant la commémoration de l’Armistice, au cénotaphe de Whitehall, où un ancien militaire échappé d’un asile psychiatrique avait interrompu les deux minutes de silence en criant : « Quelle hypocrisie ! »
Quand Logue retrouva le roi le 23 novembre, ils parlèrent longuement de Noël, et le souverain lui révéla qu’il n’avait pas encore vraiment tranché. Mais une chose était claire : même s’il finissait par prononcer ce discours, il ne s’agirait pas de rétablir une longue tradition. Logue ne lui fit aucun reproche ; ils convinrent que la décision finale serait prise la semaine suivante. « Il descend à Sandringham, et ensuite dans le duché de Cornouailles ; il va y réfléchir en chemin, écrivit Logue. Je pense que ce serait une bonne idée de faire une petite déclaration le jour de Noël, mais certainement pas tous les ans. »
Malgré la pression, le roi était d’humeur enjouée ; au dîner, il plaisanta sur le protocole officiel, en évoquant notamment le casse-tête qu’était le placement des ambassadeurs de pays hostiles les uns à côté des autres. Il rit aussi en lisant à Logue quelques vers sur son frère et Wallis Simpson, et récita ceux-ci en gloussant : « S’occupait de l’État le jour, et de Mme Wally la nuit. »
Le jour de
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