Le discours d’un roi
plus grands gestes en faveur de la paix mondiale qui aient jamais été faits, écrivit-il dans son journal intime. Bien sûr, de nombreux citoyens américains protesteraient en disant qu’il s’agit d’une tactique politique, mais ils voient la politique ou l’argent partout. »
Tandis qu’il lisait, Eric Mieville, le secrétaire particulier adjoint du roi, entra et se lança dans une longue discussion avec Hardinge afin de déterminer s’il serait avisé ou non que le roi emmène des représentants de la cour avec lui au Canada. Incapables de prendre une décision, ils se tournèrent vers Logue pour lui demander son opinion de « colonial ». Celui-ci se souvenait affectueusement de la visite de George V, encore duc d’York, à Adélaïde, alors que lui-même était encore enfant. « Plus il y aura de pompe, mieux ça vaudra, leur dit-il. Ils ont tenu compte de mon avis, et lord Chamberlain ne saura probablement jamais que c’est l’opinion du colonisé Lionel Logue qui lui a permis de prendre part à cette visite canadienne. »
Le roi avait l’air fatigué, ce qui était peut-être compréhensible, compte tenu du fait qu’il avait dû se lever à 4 heures du matin pour aller à la chasse aux canards à Sandringham. Mais Logue, lui, le trouva plutôt en forme. Ils lurent le discours deux fois : pour la première, il fallut treize minutes ; la seconde n’en nécessita que onze. Comme le texte restait complexe, ils fixèrent deux autres rendez-vous pour mieux se préparer. Avant de partir, quelques minutes avant 19 heures, la princesse Margaret, alors âgée de presque huit ans, entra pour souhaiter bonne nuit à son père. « C’est très beau de les voir jouer ensemble, pensa Logue. Lorsqu’elle est dans la pièce, il ne voit plus qu’elle. »
Logue revit le roi le matin de la cérémonie d’ouverture du Parlement pour une dernière relecture : « Un bel effort, malgré le fait qu’il y ait un terrible excès de mots, écrivit-il dans son journal. Il lui a fallu onze minutes exactement, et il serait intéressant de voir en combien de temps il le prononcera. » Logue ne put se rendre au Parlement, mais le capitaine Charles Lambe, un des officiels du roi qui serait présent à la Chambre, promit de noter la durée du discours et de l’appeler immédiatement après. Lambe rapporta plus tard qu’il lui avait fallu treize minutes, avec quatre hésitations.
Au grand soulagement de Logue, mais surtout du roi lui-même, il fut décidé qu’il n’y aurait pas de discours de Noël cette année-là ; celui de l’année précédente avait été exceptionnel, uniquement à l’occasion de l’année du couronnement. Mais ce soulagement fut de courte durée : lors de sa visite en Amérique du Nord, le roi devrait prononcer un certain nombre de discours, le plus important étant à Winnipeg le 24 mai, jour de la célébration annuelle de l’Empire. Cette journée avait été lancée pour la première fois en 1902, le jour de l’anniversaire de la reine Victoria, décédée l’année précédente ; elle était censée rappeler aux enfants ce que cela signifiait d’être les « fils et les filles d’un glorieux Empire ». En un temps de grande tension internationale comme celui-ci, elle offrait l’opportunité de montrer la solidarité des membres de l’Empire envers la mère patrie.
Tous ces discours impliquaient nécessairement un certain nombre de sessions avec Logue. Une lettre envoyée du palais le 10 mars, par exemple, confirmait des rendez-vous pour le 16, le 17 et le 20. Des visites aussi fréquentes signifiaient que l’orthophoniste commençait aussi à voir la famille du roi plus souvent. Lors de la première de ces trois entrevues, la princesse Margaret Rose les interrompit de nouveau, et séduisit Logue par son charme, tout comme sa mère. « Quelle chère petite bonne femme, avec ses yeux vifs qui ne laissent rien passer, consigna-t-il dans son journal intime. Elle revenait tout juste d’une leçon de danse, et nous a montré comment, en faisant les derniers pas de la danse écossaise, ses petites chaussures lui ont écorché les jambes et, après sa démonstration, elle a demandé si “on pouvait y faire quelque chose”. »
Le mois suivant, Logue croisa l’impressionnante figure qu’était la reine Mary, la reine mère, alors âgée d’un peu plus de soixante-dix ans. En longeant le couloir incurvé pour rejoindre le roi, il remarqua qu’un des
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