Le discours d’un roi
valets se mettait au garde-à-vous. Quelques pas plus loin, il vit deux femmes avancer vers lui, l’une d’elles marchant avec une canne. Le coeur de Logue tressaillit dans sa poitrine lorsqu’il comprit brusquement de qui il s’agissait.
« J’ai reculé vers le mur et les ai saluées ; arrivées en face de moi, elles se sont arrêtées – et j’ai eu peur que mon coeur ne fasse de même, relata Logue dans son journal, de ce ton fébrile qu’il adoptait toujours lorsqu’il rencontrait des femmes royales. La reine s’est approchée lentement, et en tendant une main a dit : “Je vous connais, vous êtes venu à Sandringham. Bien sûr, vous êtes Logue, je suis très heureuse de vous revoir.” »
Plus tard, lorsqu’il raconta au roi combien il avait été impressionné de ce que sa mère l’eût reconnu, le souverain répondit : « Oui, elle est vraiment merveilleuse. »
Le départ du roi et de la reine était prévu pour le 5 mai 1939, à bord du paquebot RMS Empress of Australia , de la Canadian Pacific, avant d’entamer un trajet de douze jours à travers le nord de l’Atlantique. L’après-midi précédent, Logue avait été convoqué au palais. Il avait donné à Tommy Lascelles, qui devait les accompagner, des conseils sur la façon d’aider le roi à se préparer à un discours radiophonique. Il avait insisté sur le fait que, contrairement à l’impression donnée par toutes les photographies où on le voyait assis devant un micro, il préférait rester debout. À cette occasion (comme pour le voyage australien), il n’était pas question que Logue se joigne au groupe royal, et il ne l’aurait d’ailleurs pas voulu. « Mon merveilleux patient se porte merveilleusement bien, et il va passer un séjour merveilleux au Canada, écrivit-il à son beau-frère Rupert. Il n’y a aucune raison pour que j’y aille. »
Puis, quelques minutes plus tard, il reçut le message : « M. Logue est attendu », et on l’emmena voir le roi. Logue se souvint que le souverain était trop fatigué pour se lever et relire ses discours, mais qu’il était souriant et semblait plutôt heureux. Ils étaient en train de travailler ensemble le texte d’un discours destiné au Québec, lorsqu’une porte dissimulée dans le mur s’ouvrit, laissant entrer la reine, vêtue d’une superbe tenue brune, accompagnée des deux princesses.
Comme c’était leur dernière soirée avec leurs parents, Elizabeth et Margaret supplièrent qu’on les laisse veiller et jouer dans la piscine. La reine se joignit à elles et, après de nombreuses supplications, du genre « Allez, papa, c’est notre dernière nuit », le roi finit par céder, à la condition que tout soit fini à 18 h 30.
Puis il se tourna vers Logue et dit : « Racontez-leur cette fois où vous avez plongé sur ce requin. » Alors, Logue expliqua que, quand il avait environ cinq ans et qu’il vivait à Brighton, sur la côte sud de l’Australie, il avait l’habitude avec d’autres enfants de courir vers la digue au saut du lit, abandonnant leur pyjama en chemin, afin de faire la course et d’être le premier dans l’eau.
Ce matin-là, le jeune Logue fut le premier, et il plongea de l’extrémité de la digue avec un cri joyeux, dans l’eau claire et scintillante. « Tandis que je me retournais dans les airs, là, en dessous, dans environ trois mètres d’eau, il y avait un petit requin qui dormait du sommeil du juste, poursuivit-il. Je ne pouvais pas revenir en arrière, et j’ai percuté l’eau avec un bruit effrayant avant de me précipiter vers le débarcadère, m’attendant à perdre une jambe à tout moment. Le malheureux requin, certainement plus effrayé que moi, avait déjà dû parcourir une dizaine de kilomètres. » Pendant que Logue racontait son histoire, les princesses, les yeux écarquillés et les mains serrées, le fixaient, captivées.
Une fois que les filles furent parties à la piscine, Logue serra la main de la reine, lui souhaita un bon voyage et un bon retour. « Eh bien, j’espère qu’on ne devra pas travailler trop dur, répondit-elle. Nous avons déjà hâte d’être rentrés. »
De nouveau seul avec le roi, Logue le fit relire les discours une fois de plus. « Le roi s’est exécuté on ne peut mieux, nota-t-il dans son journal. S’il ne se fatigue pas trop, je suis certain qu’il s’en sortira parfaitement. En partant, je lui ai souhaité bonne chance ; il m’a remercié et
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