Le discours d’un roi
n’y avait aucun doute quant à l’impact qu’avait eu leur visite sur la relation de la Grande-Bretagne avec le Nouveau Monde, mais aussi sur l’amour-propre du roi – ce que la presse des deux côtés de l’Atlantique ne manqua pas de faire remarquer. « Plus que tout, ce voyage a eu une grande influence sur George VI lui-même, commenta le Time quatre jours plus tard. Il y a deux ans de cela, il a endossé ses responsabilités presque sans préavis, s’attendant à jouer toute sa vie le rôle du jeune frère discret. Les journalistes qui l’ont suivi sur ce long circuit, de Québec à Halifax, ont été frappés par la nouvelle assurance acquise par George suite à cette épreuve. »
Cette idée fut reprise plus tard par le biographe officiel du roi. Ce voyage « l’avait fait sortir de lui-même, lui permettant de s’ouvrir à de nouvelles perspectives et de lui faire découvrir de nouvelles idées. Il marqua la fin de sa période d’apprentissage en tant que monarque, lui donna plus d’assurance et de confiance en lui 78 ».
Cette nouvelle aisance s’était reflétée dans les discours prononcés pendant la visite royale. « Je n’ai jamais entendu le roi, ou quiconque d’ailleurs, s’exprimer de manière si efficace, si émouvante, écrivit Lascelles à Mackenzie King, le Premier ministre du Canada. Un ou deux passages l’ont si profondément ému que j’ai eu peur qu’il ne s’effondre. Ce sentiment spontané a donné plus de force à son allocution… Ces dernières semaines, qui ont culminé en son effort final d’aujourd’hui, l’ont catégoriquement établi comme un orateur exceptionnel 79 . »
Les sujets britanniques du roi eurent le loisir d’apprécier sa nouvelle assurance lors d’un déjeuner au Guildhall de Londres, le vendredi 23 juin, le jour où il regagna la capitale avec la reine, recevant un accueil triomphal. Le roi avait câblé un message à Logue du navire pour qu’il soit au palais à 11 h 15. L’orthophoniste était arrivé avec suffisamment d’avance pour s’entretenir brièvement avec Hardinge, qui lui révéla que le roi était fatigué mais en pleine forme.
Comme toujours, Logue trouva le roi un peu nerveux, mais celui-ci ne tarda pas à se détendre et à afficher son sourire caractéristique en discutant du voyage. « Roosevelt a grandement éveillé son intérêt, un homme tout à fait charmant, a-t-il dit », écrivit Logue. Ils passèrent en revue le discours, que Logue trouva trop long ; réfléchissant, comme d’habitude, au contenu au-delà des mots, il décréta aussi que le texte aurait dû comporter plus de références au séjour aux États-Unis. Le roi prit note de ses conseils, mais comme le discours devait être prononcé à peine quelques heures plus tard, il manquait de temps pour le modifier.
Quelque sept cents personnalités en vue avaient été invitées au Guildhall, où tous savourèrent un déjeuner de huit plats, arrosé de deux marques de champagne 1928 et de porto millésimé. « C’est vraiment dommage qu’on n’ait pas fait un film en couleurs de cette scène, commenta le Daily Express . On aurait pu ainsi conserver pour la postérité une image de tout le pouvoir exécutif de Grande-Bretagne, tassé sur quelques mètres carrés de tapis bleu. »
En s’exprimant avec une grande émotion, le roi décrivit comment sa visite avait consolidé les liens entre l’Angleterre et le Canada. « Partout, bien sûr, j’ai vu le symbole de la Couronne britannique ; mais par-dessus tout, j’ai pu observer les institutions qui se sont développées, siècle après siècle, avec ce puissant essor qui caractérise ce pays, sous l’égide de cette Couronne », dit-il à son public, qui l’interrompit plusieurs fois en l’acclamant bruyamment.
Logue, qui suivit le discours à la radio, fut impressionné. Lascelles l’appela à 16 h 15, « pour dire à quel point tout le monde était satisfait du discours, particulièrement le roi ».
Le verdict de la presse fut tout aussi encourageant. William Hickey, dans sa rubrique du Daily Express , déclara qu’il s’agissait d’« un discours admirable et harmonieux », avec quelques touches personnelles qui donnaient l’impression que le roi l’avait rédigé lui-même. Et il l’avait bien prononcé. « Le roi s’est tant amélioré sur ce point depuis les premiers jours de son règne qu’on ne saurait se rendre compte de son défaut aujourd’hui »,
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