Le discours d’un roi
m’a dit : Merci beaucoup, Logue, pour tout le mal que vous vous êtes donné, je suis extrêmement chanceux d’avoir à mes côtés un homme qui comprend si bien les voix et les discours. »
La traversée vers le Canada n’eut pas lieu sans incidents : pendant l’hiver, la banquise avait dérivé bien plus au sud que d’habitude, il y avait un brouillard épais, et le navire manqua percuter un iceberg. Comme quelqu’un à bord le fit remarquer au malheureux capitaine, ils ne se trouvaient pas loin de l’endroit où, à la même saison, en 1912, le Titanic avait coulé.
Le roi et la reine débarquèrent au Québec le 17 mai, quelques jours plus tard que prévu, et se soumirent à un emploi du temps très chargé qui les emmena à travers le pays. Presque partout, ils furent accueillis avec enthousiasme. L’un des Premiers ministres provinciaux dit à Lascelles : « Vous pouvez rentrer chez vous et dire au Vieux Monde qu’après aujourd’hui, affirmer que le Canada est un pays isolationniste ne serait qu’une idiotie 75 . » Une semaine plus tard, il y eut le discours du jour de l’Empire, retransmis en Grande-Bretagne à 20 heures. Après l’avoir écouté, Logue envoya un télégramme à Lascelles, alors à bord du train royal, à Winnipeg.
« Discours à l’Empire très grande réussite, voix magnifique, débit évocateur, quatre-vingts atmosphères minimum. Veuillez transmettre mes félicitations à Sa Majesté. Cordialement, Logue. »
L’étape américaine du voyage, qui commença le soir du 9 juin, revêtait, si possible, encore plus d’importance pour le roi : des membres de la famille royale avaient déjà visité les États-Unis, mais c’était la première fois qu’un souverain britannique régnant foulait la terre de ce pays. Un tapis rouge fut déroulé sur le quai de Niagara Falls, dans l’État de New York, et le train royal bleu et argenté traversa la frontière ; le roi et la reine furent accueillis par Cordell Hull, le secrétaire d’État, et son épouse.
Le président Roosevelt était parfaitement conscient de la symbolique de son invitation. Si l’étape canadienne du voyage royal avait pour but de renforcer la solidarité du Commonwealth, la présence du roi au sud du 49 e parallèle apporterait des preuves puissantes de la force de l’amitié liant les îles Britanniques et les États-Unis.
L’accueil réservé au couple royal dans les rues de Washington fut extraordinaire. Environ 600 000 personnes le suivirent de la gare, Union Station, vers le Capitole, pour descendre Pennsylvania Avenue jusqu’à la Maison-Blanche, malgré des températures avoisinant les 34 °C. « Au cours de ma longue existence, j’ai assisté à de nombreux événements importants à Washington, mais je n’ai jamais vu une telle foule comme celle assemblée sur la route entre Union Station et la Maison-Blanche », écrivit Eleanor Roosevelt, l’épouse du Président, dans son journal intime. Elle ajouta, à propos du couple royal : « Ils savent se faire des amis, ces jeunes gens 76 . »
Pour le roi, le clou de la visite fut les vingt-quatre heures qu’il passa avec la reine à Hyde Park, la maison de campagne de Roosevelt sur les berges de l’Hudson, dans le comté de Dutchess, à New York. Si le drapeau royal flottait au mât, les hommes mirent toute formalité de côté et parlèrent franchement de la situation et de son impact sur leurs pays respectifs.
Les deux couples sympathisèrent aussi sur un plan plus personnel ; ils burent des cocktails et pique-niquèrent à midi. Le roi enleva sa cravate, savoura une bière et goûta à cette fameuse spécialité culinaire américaine : le hot-dog. Les Roosevelt, nota le magazine Time , avaient « développé un sentiment paternel et maternel envers ce jeune couple sympathique ». Le roi et la reine semblaient ravis de leur séjour. « Ils forment une famille si charmante et unie, et vivent à l’anglaise lorsqu’ils viennent dans leur maison de campagne », écrivit la reine à sa belle-mère 77 . Wheeler-Bennett, le biographe officiel du roi, spécula que Roosevelt, qui était confiné sur une chaise roulante en raison d’une polio, et le roi, avec ses difficultés d’élocution, s’étaient rapprochés par « ce lien tacite qui unit ceux qui ont triomphé d’un handicap physique ».
Le roi et la reine repartirent chez eux le 15 juin de Halifax, à bord du paquebot Empress of Britain . Il
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