Le discours d’un roi
Logue le suivit dans la bibliothèque. Le souverain ramassa sur le bureau une photo signée de lui, de la reine et des petites princesses en robe de couronnement, ainsi qu’une boîte. À l’intérieur se trouvait une magnifique réplique d’une blague à tabac argentée, et une paire de boutons de manchettes dorés sur émail noir, frappés des armes royales et de la couronne.
Logue était trop ému pour parler, mais le roi lui tapota le dos. « Je ne pourrai jamais assez vous remercier pour tout ce que vous avez fait », dit-il.
Le goûter fut tout aussi informel que le déjeuner : la reine était assise à une extrémité de la table, lady May Cambridge à l’autre. Plus tard, ils descendirent tous dans la grande salle de bal décorée, où Logue eut un aperçu du rituel hautement organisé qu’était l’échange de cadeaux. Au centre de la salle se trouvait un grand sapin de Noël qui s’étirait jusqu’au plafond, magnifiquement orné. Partout dans la salle, on avait disposé d’immenses tables à tréteaux recouvertes de papier blanc. D’environ un mètre de largeur, elles étaient ponctuées tous les mètres par un ruban bleu, qui allouait à chacun un mètre carré. Des étiquettes nominales, en commençant par le roi et la reine, indiquaient où se trouvaient les cadeaux destinés à chaque personne.
Le roi avait offert à la reine un joli diadème de saphir, mais Logue fut frappé par la simplicité de la procédure et par les autres cadeaux, notamment ceux destinés aux enfants. Ensuite, ils chantèrent tous ensemble la chanson populaire Ring a Ring o’ Roses avec les deux princesses et les autres enfants royaux.
Pour Logue, le temps passa presque comme dans un rêve ; à 18 h 30, le commandant Lang, l’écuyer, lui fit remarquer que s’il voulait prendre son train pour Londres, il fallait partir immédiatement, car il y avait du brouillard. Plus tôt dans l’après-midi, la reine lui avait proposé de rester passer la nuit s’il le désirait, mais Logue ne tenait pas à s’éterniser. Et puis, il avait lui-même des invités qui l’attendaient chez lui, à Sydenham.
Pendant ce temps, le roi, son épouse et sa mère s’étaient rendus dans une salle voisine pour distribuer les présents au personnel et aux gens du domaine ; mais quand l’écuyer leur murmura que Logue était sur le départ, ils prirent congé pour lui dire au revoir.
Alors Logue s’inclina profondément au-dessus des mains des deux reines, et elles le remercièrent de façon charmante pour tout ce qu’il avait fait, et le roi lui serra la main en disant combien il appréciait le fait qu’il ait sacrifié son propre dîner de Noël. « Enfin, dit-il, comme il n’y a pas de wagon-restaurant dans le train, j’ai demandé qu’on vous prépare un panier garni. »
Dehors, le brouillard recouvrait tout. Le conducteur réussit néanmoins à atteindre Wolferton à temps, et Logue monta bientôt à bord du train pour Londres, non sans son panier garni contenant un magnifique repas de Noël et les compliments du roi. En dépit du brouillard, le train arriva à Liverpool Street trois minutes en avance. Laurie, qui avait quitté son propre dîner de Noël, attendait son père pour le ramener chez lui. À 22 h 45, Logue fut accueilli dans sa maison, où tous les invités semblèrent ravis de le voir. Ainsi se termina ce qu’il décrivit comme « une des journées les plus merveilleuses de toute mon existence ».
Myrtle ne rejoignit pas son mari à Sandringham. Au printemps, elle avait commencé à souffrir d’une inflammation de la vésicule biliaire, et le 5 juillet elle avait dû subir une opération. Le chirurgien avait retiré quatorze calculs, « de quoi composer un jardin de rocaille », comme elle l’écrivit à son frère Rupert. Elle passa plus de trois semaines à l’hôpital avant d’être libérée, mais fit une rechute dix jours plus tard, quand un fragment de calcul qui n’avait pas été retiré se mit à bouger. La voyant vaciller d’une crise à l’autre, Lionel commença à s’affoler à l’idée de perdre la femme qui avait été à ses côtés pendant la majeure partie de sa vie d’adulte. En mars, ils avaient fêté leurs trente ans de mariage, « un temps terriblement long à passer avec une seule femme, et pourtant, avec le recul, il y a peu de choses que j’aimerais changer, écrivit-il. Cette période a été merveilleuse ; ma femme a toujours été derrière moi
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