Le discours d’un roi
ce poste. Lorsque Chamberlain donna sa démission deux jours plus tard, il fut remplacé par Winston Churchill qui forma un nouveau gouvernement de coalition réunissant les conservateurs, les travaillistes, les libéraux et même quelques indépendants. Le même jour, les forces allemandes envahissaient la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.
L’étau nazi se resserra rapidement sur ces pays. Le 13 mai, à 5 heures du matin, le roi fut réveillé pour répondre à un appel de la reine Wilhelmine des Pays-Bas. Croyant d’abord à une imposture, ses soupçons se dissipèrent dès qu’il l’entendit le supplier d’envoyer davantage d’avions pour défendre son pays assiégé. Il était toutefois trop tard. Quelques heures après, sa fille, la princesse Juliana, accompagnée de son mari d’origine allemande, le prince Bernhard, et de leurs petites filles, atterrissaient en Angleterre. Dans le courant de la journée, la reine Wilhelmine téléphonait de nouveau au roi d’Angleterre, cette fois-ci depuis Harwich où elle était arrivée à bord d’un destroyer britannique après avoir réussi à échapper aux Allemands. Elle avait d’abord voulu rentrer aux Pays-Bas afin de rejoindre les forces néerlandaises dans la province de Zélande, où la résistance continuait, mais la situation militaire s’était considérablement dégradée et toute perspective de retour fut rapidement écartée. Le 15 mai, l’armée néerlandaise était écrasée par la Blitzkrieg allemande. Wilhelmine demeura au palais de Buckingham d’où elle s’efforça d’appeler son peuple à la résistance.
C’est dans ces circonstances pour le moins dramatiques que Logue reçut un appel de Hardinge, le 21 mai à 11 heures, lui demandant de se présenter chez le roi à 16 heures. Arrivé avec un quart d’heure d’avance, Logue trouva le secrétaire particulier du roi en pleine agitation. Les mauvaises nouvelles continuaient d’affluer du continent : les forces allemandes poursuivaient leur avancée fulgurante en territoire français ; elles étaient, semblait-il, entrées dans Abbeville sur l’embouchure de la Somme, à 24 kilomètres de la Manche, et seraient ainsi parvenues à couper les forces alliées en deux. Le ciel s’assombrissait au-dessus du corps expéditionnaire britannique massé le long de la frontière franco-belge.
Le roi semblait d’humeur étonnamment joyeuse, compte tenu de la gravité de la situation. Logue le trouva debout sur le balcon, vêtu de son uniforme militaire et occupé à siffler un jeune corgi qui, plus bas, à l’abri sous un platane, semblait bien en peine de savoir d’où provenait ce sifflement. Logue remarqua que de nouvelles mèches grises étaient apparues sur les tempes du roi. Le poids de la guerre commençait à se faire sentir.
Les deux hommes pénétrèrent dans une pièce dépourvue de tout tableau ou objet de valeur à l’exception d’un vase. Logue trouva le discours de la fête de l’Empire magnifique et remarquablement bien écrit, même si cela ne l’empêcha pas d’y apporter quelques modifications avec l’accord du roi. Alors qu’ils parcouraient le texte une deuxième fois, on frappa discrètement à la porte, et la reine apparut, habillée d’une robe gris pâle ornée sur l’épaule gauche d’une somptueuse broche de diamants en forme de papillon. Tout en notant les changements faits à son texte, le roi parla à Logue des exploits de la Royal Air Force et dit combien « on pouvait être fier des jeunes gens d’Australie, du Canada et de Nouvelle-Zélande ». Logue se retira peu après.
« Je garderai un souvenir magnifique de cet instant où, prenant congé, je me suis incliné devant le roi et la reine : tous les deux se tenaient dans l’encadrement d’une grande fenêtre, le soleil derrière eux, le roi vêtu de son uniforme de maréchal et la reine d’une robe grise », notera Logue dans son journal.
Le jour de la fête de l’Empire, Logue se rendit au palais après dîner et vérifia avec Robert Wood et Frederick Ogilvie de la BBC que la pièce avait été dûment préparée. Wood avait également fait installer un câble dans l’abri souterrain en cas d’attaque aérienne. « Quoi qu’il arrive, le discours serait diffusé », écrivit Logue.
Vêtu d’une veste croisée, le roi affichait une silhouette fine et élancée. Logue l’accompagna dans la salle d’enregistrement où il fut soulagé de constater qu’il régnait
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