Le discours d’un roi
une atmosphère agréablement fraîche. Il avait laissé des instructions à cet égard et demandé que les fenêtres soient laissées ouvertes afin d’éviter le désastre de la veille, lorsque l’infortunée reine Wilhelmine avait dû prononcer un discours à destination de ses colonies des Caraïbes dans une chaleur de four.
Logue n’avait proposé que de légères modifications au discours. Au lieu de commencer par « It is a year ago today » (Il y a un an aujourd’hui), il avait suggéré au roi de débuter par « On Empire Day a year ago » (Il y a un an, pour la fête de l’Empire). Après une dernière répétition – qui lui prit douze minutes – le roi regagna son bureau pour revoir deux ou trois passages difficiles. Il ne lui restait plus que huit minutes.
Une minute avant l’heure dite, le roi entra dans la salle d’enregistrement et contempla le paysage à travers la fenêtre ouverte. Le soleil se couchait sur une belle soirée de printemps, parfaitement paisible. « Il était difficile de se dire que, à quelques centaines de kilomètres de là, des hommes s’entretuaient », pensa Logue.
La lumière rouge clignota quatre fois, puis s’éteignit. Le roi s’approcha du micro et Logue lui pressa le bras en signe d’encouragement. Ce geste en disait long sur la relation qui s’était nouée entre les deux hommes ; nul n’était autorisé à toucher le roi de cette manière sans y avoir été invité.
« Il y a un an, pour la fête de l’Empire, je m’adressais à vous, peuples de l’Empire, depuis Winnipeg, en plein coeur du Canada, commença le roi, adoptant ainsi la première modification de Logue. Nous étions en paix. Ce jour-là, je vous ai parlé des idéaux de liberté, de justice et de paix sur lesquels est fondé notre Commonwealth de peuples libres. Les nuages s’amoncelaient mais je m’accrochais fermement à l’espoir de voir ces idéaux se développer plus complètement sans subir le cruel assaut de la guerre. Il n’en a pas été ainsi. Le fléau que nous avons sans relâche et en toute honnêteté cherché à éviter s’est abattu sur nous. »
Le roi poursuivit, souriant comme un enfant (du moins d’après Logue) à chaque mot prononcé sans difficulté et qu’il n’aurait jamais réussi à dire auparavant. Un « combat décisif » attendait à présent le peuple britannique, continua le roi, faisant monter la tension. « Ce n’est plus seulement à la conquête de nouveaux territoires que nos ennemis aspirent mais à la disparition complète et définitive de cet Empire et de ce qu’il représente, et ensuite, à la conquête du monde… »
Logue n’avait désormais rien d’autre à faire que d’écouter le roi, fasciné par sa voix. Une fois que celui-ci eut prononcé ses derniers mots, Logue serra ses mains dans les siennes. Les deux hommes savaient qu’ils avaient réussi.
Ils n’osèrent toutefois pas parler pendant un moment. À la demande de Logue, le voyant rouge – « l’oeil rouge du petit dieu jaune I », selon son expression – restait désormais éteint pendant l’enregistrement, l’inconvénient de cette méthode étant qu’ils ne pouvaient pas savoir exactement à quel moment le micro était coupé. Les deux hommes se dévisagèrent donc en silence, « le roi et le roturier, j’ai le coeur trop plein pour parler », écrit Logue. Le roi pressa sa main contre la sienne.
Quelques minutes plus tard, Ogilvie entra, suivi de la reine. « Félicitations, Votre Majesté, c’était magnifique », lança-t-il, tandis que la reine embrassait son mari et lui disait combien il avait été impressionnant. Tous les quatre restèrent un moment à parler.
« Puis, écrit Logue, le roi d’Angleterre déclara : “J’aimerais dîner”, et tous prirent congé avant de disparaître dans un autre monde. »
Le roi était – à juste titre – fier de sa performance et soulagé que, en dépit d’une situation militaire fluctuante, il n’ait pas eu besoin de modifier son texte à la dernière minute. « Je craignais qu’un événement ne m’oblige à le réécrire, nota-t-il ce soir-là dans son journal. Je suis très satisfait de ce discours, sans aucun doute le meilleur que j’aie prononcé. Comme je hais la radiodiffusion 85 . »
Les journaux du lendemain ne tarissaient pas d’éloges sur le discours. Le Daily Telegraph l’avait trouvé « vigoureux et encourageant » et ajoutait que « chaque mot avait
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