Le discours d’un roi
davantage. À soixante-deux ans, je me rends compte qu’il y a des choses que je ne peux plus faire ».
D’autres patients exprimaient également leur gratitude dans des lettres que l’on retrouvera parmi les papiers de Logue. Un certain C. B. Archer, fonctionnaire de cinquante-trois ans habitant à Wimbledon, dans le sud-ouest de Londres, lui écrivit le 30 novembre 1943 pour le remercier de l’avoir complètement guéri du bégaiement dont il souffrait depuis l’âge de huit ans à l’aide d’une technique de respiration abdominale. « Je bénis le jour où je vous ai rencontré, il y a six mois, écrivit Archer. Je pense que seul un bègue peut vraiment comprendre la différence que cela fait. C’est comme si l’on m’avait soulagé d’un énorme poids mental. » Sur cinq pages, Archer décrivait le fardeau qu’avait été son bégaiement tant dans sa vie professionnelle que privée.
« Mon bégaiement a été un terrible handicap dans mon travail, poursuivait-il. Sans lui, je serais déjà assistant aujourd’hui. Toutes les promotions étaient décidées à l’issue d’un entretien devant le conseil de promotion, vous pouvez imaginer quelle piteuse performance je leur offrais. »
Le mois suivant, Logue reçut une lettre pleine de gratitude de la part d’un certain Tom Mallin de Sutton Coldfield, à Birmingham. Il y expliquait comment sa mère et ses amis avaient remarqué une différence depuis qu’il avait commencé à consulter Logue. « Tous mes amis me disent que j’ai “changé”, ce qui est vrai et pour le mieux, écrit Mallin. Je me rends compte à présent combien la voix peut être une chose magnifique, gratifiante et expressive, et je m’étonne de ne pas m’en être aperçu plus tôt. […] Je ne sais, monsieur, comment vous remercier pour ce bonheur. » Mallin devait passer un entretien quelques semaines plus tard, pour lequel il veillerait à se « rappeler tout ce que [Logue lui avait] appris ». Il était « sûr de les impressionner 87 ».
Pendant ce temps, un nouveau tournant décisif se préparait sur le champ de bataille. À 9 h 30 du matin, le jeudi 1 er juin 1944, Logue reçut un coup de téléphone de Lascelles, qui avait remplacé le très sec Hardinge au poste de secrétaire particulier du roi depuis juillet 1943. « Mon maître souhaiterait savoir si vous pourriez venir au château de Windsor demain, vendredi, pour le déjeuner », demanda-t-il à Logue. Lequel ne fut que trop heureux de s’exécuter.
Logue prit le train de 12 h 44. Arrivé dans la salle des écuyers, il fut accueilli par Lascelles, l’air particulièrement grave. « Je suis désolé, je ne peux pas vous dire grand-chose sur le discours, lui expliqua ce dernier. Il s’agit en réalité d’une invitation à la prière d’environ cinq minutes. Aussi étrange que cela paraisse, je ne peux pas vous dire quand il aura lieu car, comme vous l’aurez probablement deviné, il doit être diffusé au soir du jour J à 9 heures. »
Logue déjeuna avec les écuyers, les dames d’honneur et le capitaine de la garde, puis le roi le fit appeler. Le roi se trouvait dans son bureau où régnait une chaleur étouffante malgré les stores baissés. Il avait les traits tirés et expliqua à Logue qu’il ne dormait pas bien en ce moment. Après l’avoir fait répéter une fois, Logue fut pourtant très satisfait de son élève. Il l’avait chronométré : cinq minutes et demie exactement.
Lascelles n’avait pas eu besoin d’expliquer ce qu’il voulait dire par « jour J ». Cela faisait longtemps que le terme militaire désignant le jour où les Alliés devaient lancer leur assaut en Europe était entré dans le langage courant. La date et le lieu du débarquement restaient toutefois des informations hautement confidentielles. La surprise était un facteur clé de la réussite des Alliés, et l’on avait eu recours à des moyens aussi exceptionnels qu’astucieux pour transmettre de fausses informations à l’ennemi.
C’était à la conférence de Casablanca de janvier 1943, dix-sept mois plus tôt, que Roosevelt et Churchill avaient décidé de combiner les forces américaines et britanniques pour monter un plan d’invasion à grande échelle et délivrer l’Europe des nazis. Préférant éviter les assauts frontaux et meurtriers de la Première Guerre mondiale, Churchill avait proposé d’envahir les Balkans dans l’objectif de rejoindre les forces
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