Le discours d’un roi
lampe de poche.
Vous pouvez dire à Val que jusqu’à hier soir, je n’avais pas retiré mes bottes, mon manteau ou le moindre vêtement depuis dix-neuf jours, ce qui me donne une allure bien différente de celle que j’ai en temps de paix. Cela a été une bataille épique qui devrait rester gravée dans les annales. Je suis fier d’avoir été là et d’avoir apporté ma petite contribution. Les hommes se sont battus comme seuls le peuvent des Gardes de la Brigade, je ne peux rien dire de plus.
La situation évolua peu au cours des deux mois suivants, jusqu’au 4 juin lorsque les troupes alliées entrèrent dans Rome, deux jours avant le débarquement de Normandie. Tony, promu capitaine un mois auparavant, écrivit dans une lettre datée du 15 juin :
La deuxième nuit, je me trouvais à bord d’une Jeep ; c’est l’une des plus belles villes que j’aie jamais vues. Tout était parfaitement calme et tranquille, les gens continuaient leur vie de tous les jours, et à l’exception du flux de convois, il n’y avait aucun soldat dehors. C’est l’occupation la plus facile que j’aie jamais vue.
Nous nous trouvions dans une forêt au nord de Rome lorsque nous avons appris l’ouverture d’un deuxième front. Nous ne nous sommes pas arrêtés depuis. Ces deux dernières semaines, j’ai reçu suffisamment de hourras pour toute une vie. Ces villes du nord de l’Italie, parmi les plus belles au monde, nous ont offert un accueil vraiment royal et dans la plupart des cas, les canons allemands ne sont pas encore froids.
Les vents avaient clairement tourné en faveur des Alliés sur le continent européen, toutefois Hitler essaya dans une tentative désespérée d’inverser la tendance. Le 16 décembre 1944, l’armée allemande lança une vaste contre-offensive dans les Ardennes, cherchant à scinder les forces alliées. Les Allemands parvinrent à encercler d’importantes concentrations de troupes et à reprendre le port d’Anvers, premier point de ravitaillement des Alliés.
Dans les jours qui suivirent le débarquement de Normandie, ceux qui, comme Logue, étaient restés à Londres découvrirent la première arme secrète de Hitler, les V-1, ces avions sans pilote bourrés d’explosifs qui allaient s’abattre nuit et jour sur Londres et d’autres grandes villes durant neuf mois. Ces attaques avaient un effet dévastateur sur le moral. « Il y a quelque chose de profondément inhumain dans le fait de lancer ainsi des missiles meurtriers de manière aussi peu ciblée », écrivit la reine à la reine mère 89 . Mais le pire était encore à venir : en septembre, les V-1 cédèrent la place à des armes encore plus terrifiantes, les V-2, ces missiles balistiques lancés depuis les Pays-Bas et qui atterrissaient sur Londres et dans le sud-est du pays sans le moindre avertissement. Le premier tomba sur Chiswick, à l’ouest de la capitale, le 8 septembre.
En dépit de tous les progrès qu’il avait accomplis après des années de travail avec Logue, le roi était encore loin d’être un grand orateur, comme chacun pourra le constater en écoutant ses quelques discours enregistrés dans les archives. En juin, Lascelles reçut un commentaire non sollicité de la part d’un contemporain faisant le point sur les progrès du roi. L’auteur en était le révérend Robert Hyde, fondateur de la Boy’s Welfare Association, organisation parrainée par le roi une vingtaine d’années auparavant, alors qu’il était encore duc d’York. Au fil du temps, Hyde avait eu de nombreuses occasions d’entendre le roi de près et tenait visiblement à partager ses impressions, bien qu’il ne proposât pas de solution. Sa lettre fut néanmoins transmise à Logue.
« Comme vous le savez, cela fait plusieurs années que je m’intéresse au problème d’élocution du roi, aussi je me permets de vous soumettre cette lettre. » Les hésitations semblaient persister, écrivait Hyde. « En dehors des consonnes c et g qui lui posent encore parfois problème comme dans crisis et give , le roi semble toujours buter dans deux cas précis : avec le a , surtout lorsqu’il est suivi d’une consonne comme dans ago ou alone ; et avec les répétitions de sons ou de lettres, comme dans yes please ou which we. »
Un nouveau discours était programmé pour la cérémonie d’ouverture du Parlement au mois de novembre. Étudiant le texte avec le roi, Logue fit son travail habituel, identifiant et
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