Le Druidisme
évidemment d’un phénomène de transe, et l’on remarquera que souvent
Cûchulainn prend la forme d’une roue énorme et flamboyante. Lui-même surpasse
tous les guerriers lorsqu’il s’agit de lancer la roue. Dans Le Festin de Bricriu , il lance cette roue à travers
le toit de la maison et elle va s’enfoncer dans le sol de la cour. Dans La Courtise d’Émer , devant traverser la
« Plaine du Malheur » où il fait tellement froid que les hommes gèlent,
Cûchulainn reçoit d’un guerrier une roue, et on lui dit de traverser la plaine
comme cette roue. Cela fait évidemment penser au Dieu à la Roue de la statuaire
gallo-romaine, et à l’usage des roues enflammées signalé dans la Vie de saint Vincent d’Agen . Mais la roue, comme
substitut du tonnerre, est également un symbole chamanique. De plus, quand il
se trouve en Écosse pour s’initier à l’art militaire et magique auprès de
femmes sorcières, Cûchulainn doit accomplir une singulière épreuve. Il doit
franchir un pont magique : « Quand on sautait sur le pont, il
rétrécissait jusqu’à devenir aussi étroit qu’un cheveu et aussi dur et glissant
qu’un ongle. » D’autres fois, il pouvait devenir plus haut qu’un mât. Ce
pont fait songer au « Pont de l’Épée » que Lancelot du Lac, dans le Chevalier à la Charrette de Chrétien de Troyes, doit
traverser pour parvenir à la mystérieuse cité de Gorre où Méléagant a emmené la
reine Guenièvre, et qui est l’Autre-Monde. Après de nombreux essais
infructueux, Cûchulainn devient enragé : « Il sauta en l’air en se
balançant, comme s’il était dans le vent, de sorte que, d’un bond furieux, il
arriva à se tenir sur le milieu du pont. Et le pont ne se rétrécit pas, ne
devint pas dur et ne se fit pas glissant sous lui » [319] .
Le caractère initiatique de cette épreuve ne fait pas de doute, pas plus que
son rapport avec les techniques chamaniques.
En effet, nous dit Mircea Eliade, « les chamans, à
l’égal des trépassés, ont un pont à traverser au cours de leur voyage aux
Enfers. Comme la mort, l’extase implique une « mutation » que le
mythe traduit plastiquement par un passage périlleux… » D’autre part, ce
symbolisme du pont est solidaire « du symbolisme initiatique de la porte
étroite ou d’un passage paradoxal ». Et Eliade explique le schéma de la
façon suivante : « In illo tempor e,
aux temps paradisiaques de l’humanité, un pont reliait la Terre au Ciel et on
passait d’un point à un autre sans rencontrer d’obstacles, parce qu’il n’y
avait pas de mort. » C’est pourquoi, chez les Celtes, la fête de Samain peut être considérée comme un véritable pont
de l’aube des Temps, reconstitué symboliquement pour une nuit et un jour. Mais
maintenant « on ne passe plus sur le pont qu’en esprit, c’est-à-dire en
tant que mort ou en extase… Ce passage est difficile, en d’autres termes, il
est semé d’obstacles et toutes les âmes n’arrivent pas à le traverser ; il
faut affronter les démons et les monstres qui voudraient dévorer l’âme, ou
encore le pont devient étroit comme une lame de rasoir au passage des impies…
Seuls les bons et particulièrement les initiés traversent facilement le pont… puisqu’ils ont subi la mort et la résurrection
rituelles ; certains privilégiés réussissent néanmoins à le traverser de
leur vivant, soit en extase, comme les chamans, soit de force, comme certains
héros, soit enfin « paradoxalement » par la « sagesse » ou
par l’initiation » [320] . Il y
a peu de choses à ajouter à ce commentaire.
Par contre, il est impossible de nier cette part de
chamanisme dans la tradition celtique, et cela d’autant plus que le thème du
pont, ou du gué à traverser, est sans aucun doute l’ élément
essentiel , sous forme symbolique, de la démarche spirituelle du
druidisme. Tout semble converger vers ce « pont », point de rencontre
entre les deux mondes. On pourra également penser à ce « Gué des
Âmes » du récit gallois de Peredur , où
les moutons blancs deviennent noirs en traversant, et inversement, et à tous
ces combats sur les gués ou les ponts qu’on peut remarquer aussi bien dans les
récits celtiques que dans les romans arthuriens. Dans les contes populaires, il
s’agit aussi de ponts et de gués à franchir, et on insiste sur l’étrangeté du Passeur , qui est le médiateur, personnage inquiétant
qui participe des
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