Le Druidisme
deux mondes. Mais ce n’est pas tout.
Cûchulainn, qui se déforme et devient monstrueux,
c’est-à-dire autre , passe donc d’un état
humain à un état surhumain, quasi divin, qui se manifeste dans la symbolique du
récit par une anormalité. Mais il lui faut revenir ensuite à sa forme humaine,
il lui faut redescendre sur la terre. Ce n’est pas plus facile que la montée.
Possédé par la fureur guerrière, c’est-à-dire en pleine extase, le jeune héros
risque de perturber la collectivité à laquelle il appartient si on ne prend pas
certaines précautions. Dans le récit des Enfances de
Cûchulainn , lorsqu’on le voit revenir du combat, le roi Conchobar donne
des ordres précis pour éteindre la fureur guerrière de son neveu. Il commence
par faire venir les femmes et les filles d’Émain Macha « pour montrer leur
nudité au petit héros ». Ce n’est pas pour rien qu’on parle du
« repos du guerrier ». La fureur guerrière est incontestablement liée
à la sexualité, et dans le cas de Cûchulainn, il s’agit de transformer son
agressivité sanguinaire en désir sexuel. Cûchulainn arrive – n’oublions pas que
c’est encore un petit garçon, très doué pour son âge bien sûr, mais encore
jeune. Il se détourne pour ne pas voir la nudité des femmes. « Alors on le
fit sortir du char. Pour calmer sa colère, on lui apporta trois cuves d’eau
fraîche. On le mit dans la première, il donna à l’eau une chaleur si forte que
cette eau brisa les planches et les cercles de la cuve comme on casse une coque
de noix. Dans la seconde cuve, l’eau fit des bouillons gros comme le poing.
Dans la troisième cuve, la chaleur fut de celles que certains hommes supportent
et que d’autres ne peuvent supporter. Alors la colère du petit garçon
diminua. » Ensuite de quoi, Cûchulainn, habillé de frais, accomplit une
sorte de parade triomphale, et fait avec son corps une
sorte de roue » [321] .
Or, dans la tradition des Nartes, peuple scythique, il
existe un héros, du nom de Batraz, dont les caractéristiques sont très proches
de celles de Cûchulainn. À vrai dire, Batraz paraît être la version orientale
indo-européenne du même héros que représente Cûchulainn dans la version
extrême-occidentale. Le personnage a une naissance extraordinaire, comparable à
celle de Cûchulainn. Sa mère, une femme-grenouille (Cûchulainn a pour mère
Dechtire une femme-oiseau), est morte alors qu’elle était enceinte, mais le
germe de l’enfant à naître a été enfermé sous la peau du dos de son père, et
c’est ainsi qu’il est parvenu à maturité. La tante, Satana, prépare la
naissance, et ouvre l’ abcès :
« Comme une trombe, emplissant tout de flamme, l’enfant, un enfant d’acier
brûlant, se précipite en bas, où les sept chaudrons d’eau ne suffisent pas à le
contenir. « De l’eau, de l’eau, s’écrie-t-il, pour que mon acier se
trempe. » Sa tante Satana court avec dix cruches, pour puiser de l’eau à
une source, mais elle tarde à revenir, car le diable ne consent à lui laisser
prendre l’eau que si elle se livre à lui… Elle revient enfin, arrose l’enfant à
qui le narte Syrdon peut alors donner un nom : Batraz » [322] . Ce
récit est évidemment un parallèle de l’histoire de Cûchulainn. Les Nartes sont
des peuples d’Asie centrale en contact permanent avec le chamanisme, bien
qu’eux-mêmes soient des Indo-Européens. La légende de Batraz est fort ancienne
et a même été récupérée par des peuples voisins. Elle appartient à un fonds
commun à de nombreuses traditions qui, toutes, mettent en relief le caractère
brûlant de Batraz-Cûchulainn.
Et cette « chaleur magique » est encore un élément
chamanique. « Tout comme le diable dans la croyance des populations
européennes, les chamans ne sont pas seulement « maîtres du feu »,
ils peuvent aussi incorporer l’esprit du feu au point d’émettre des flammes par
la bouche, par le nez et par le corps tout entier durant les séances » [323] .
Après avoir tracé un rapide tableau des croyances de ce type, Mircea Eliade
dit : « L’extase chamanique n’aboutit souvent qu’après l’ échauffement … L’exhibition des pouvoirs fakiriques à
certains moments de la séance résulte de la nécessité où se trouve le chaman
d’authentifier l’état second obtenu par l’extase » [324] .
Mais comment parvenir à cet échauffement , que
des héros comme Cûchulainn ont
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