Le Druidisme
survivances
d’un état antérieur à l’arrivée des Celtes, et qu’ils n’ont pas acceptées, ni
intégrées à leur système. Mais une religion qui élimine officiellement toute
référence à des croyances, ou des usages, d’une religion antérieure, voit
réapparaître ces croyances et ces usages sous d’autres formes, plus ou moins
adaptées mais témoignant de leur hétérogénéité.
L’importance des animaux et des végétaux dans la mythologie
celtique aussi bien que dans les rituels druidiques soulève un autre problème.
Y aurait-il dans le druidisme une composante chamanique, ou tout au moins des
éléments qui puissent être identifiés à des pratiques chamaniques ?
À première vue, on est tenté de répondre par la négative, le
druidisme constituant une religion hiérarchisée et de structures
indo-européennes, tandis que le chamanisme n’a jamais été autre chose qu’un
ensemble de croyances et de rites répandus dans des peuples d’origine et de
cultures très différentes. Le chamanisme est en effet pratiqué aussi bien en
Asie extrême-orientale chez des peuples dits asiatiques que dans des régions
sibériennes à peuplement indo-européen. De plus, il a été longtemps répandu
autrefois dans la frange nordique de l’Europe, sans parler de la plaine russe
et du Caucase. Il est certain que le chamanisme a un rapport avec la
civilisation des Scythes. Et l’on sait que la mythologie germanique est loin
d’être exempte de faits chamaniques, notamment à propos d’Odin-Wotan qui se
présente comme le dieu-chaman par excellence. De plus, les liens des Celtes
avec les Scythes ne sont plus à démontrer, ne serait-ce que dans le domaine des
influences sur les arts plastiques. Or les Scythes ont vraisemblablement
véhiculé des notions analogues à celles qu’on découvre dans le chamanisme, et
nous savons que des auxiliaires sarmates, donc scythes, ont été chargés par
Rome de la surveillance du Mur d’Hadrien, en Grande-Bretagne, en compagnie de
tribus bretonnes plus ou moins indépendantes. « Les Scythes », dit
Georges Dumézil, « sont appelés à jouer un rôle important, de donneurs ou
de transmetteurs sur un autre champ de recherches… : les rapports de la
mythologie japonaise et l’idéologie indo-européenne… » [308] .
Cela nous emmène très loin, peut-être, mais cela met en lumière l’existence
d’un courant culturel, et cultuel nécessairement, dans le nord de l’Asie et
dans le nord de l’Europe, courant qui s’oppose fondamentalement à celui de
l’Asie du sud et à celui de la Méditerranée. On pourrait appeler ce courant,
qui a dû être ininterrompu du Pacifique à l’Atlantique, à un certain moment de
l’Histoire, un courant « barbare ».
Il n’est pas pensable que les différents peuples compris
dans ce courant barbare n’aient point eu d’influence les uns sur les autres.
Nous avons la preuve de la présence d’éléments indo-européens, notamment la
tripartition fonctionnelle, dans la mythologie coréenne et dans la mythologie
japonaise ancienne, en particulier dans la tradition des Aïnos. Cette même
présence indo-européenne est parfaitement repérable dans les croyances et les
pratiques chamaniques de peuples divers. Pourquoi le contraire ne se serait-il
pas produit ? Affirmer péremptoirement, comme l’ont fait certains, qu’il
n’y a aucune trace de chamanisme dans le druidisme relève de la politique de
l’autruche. Nous avons maintenant une connaissance approfondie du phénomène
chamanique, et il est possible d’établir des comparaisons solides. De plus,
écarter le chamanisme du druidisme revient à mépriser le chamanisme en en
faisant seulement une tradition de sorcellerie. Or, comme le dit Mircea Eliade,
le chamanisme est « l’expérience mystique la plus valable des religions
archaïques », et la plupart du temps, les pratiques rituelles, appuyées
sur des croyances profondes, sur des raisonnements métaphysiques, ont
« maintes fois la même rigueur et la même noblesse que les expériences des
grands mystiques de l’Orient et de l’Occident » [309] .
Les pratiques sont un support indispensable pour une doctrine. Qu’eût été le
druidisme sans pratiques rituelles ?
La référence continuelle faite par les Celtes aux animaux et
végétaux est un des éléments de comparaison possible. Le lien entre le chaman
et le végétal est évident, aussi évident que celui du druide et de
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