Le Druidisme
Diarmaid, tué
accidentellement, a été métamorphosé en un sanglier magique, d’où l’interdit
majeur de Diarmaid : ne jamais chasser le sanglier, sous peine de mourir [300] . On
retrouve ce sanglier magique dans la tradition galloise, non seulement dans le
récit de Kulhwch et Olwen où Arthur et ses
compagnons traquent le sanglier Twrch Trwyth, mais aussi dans certaines Triades de l’Île de Bretagne et dans l’ Historia Britonnum de Nennius [301] .
Le sanglier est un emblème fréquent en Gaule : la presque totalité des
enseignes de guerre qu’on a pu retrouver sont des perches surmontées d’une
représentation de sanglier en bronze. Sur une plaque du Chaudron de Gundestrup,
qui représente le rite de suffocation, les guerriers ont tous un casque
surmonté d’un sanglier. Le tout est de savoir si le sanglier représente la
force physique et « solitaire » du guerrier, ce qui serait du
symbolisme, ou s’il s’agit de l’animal mythique considéré comme l’ancêtre de la
classe guerrière.
Il y a d’autres histoires, qui ne sont pas très nettes, à
propos du lien existant entre un humain et un animal. Ainsi le jeune Kulhwch
naît au milieu d’un troupeau de porcs domestiques [302] et le jeune Pryderi, fils de Rhiannon, est enlevé à sa naissance, puis déposé
dans une écurie où vient de naître un poulain [303] .
Il semble que le symbolisme soit ici singulièrement dépassé et qu’il faille
reconnaître une survivance de totémisme dans ces circonstances mystérieuses. Il
faudrait aussi se demander pourquoi l’irlandais Art, fils de Conn, c’est-à-dire
« Ours, fils de Chien », doit avoir comme épouse, après l’avoir conquise
en traversant les pires dangers, la fille de Coinchend Cenfada, c’est-à-dire
des « Têtes de Chiens » [304] . Le
nom du roi Arthur, qui n’est pas d’origine latine, comme on voudrait le faire
croire, est composé sur artu ou arto , « ours » [305] .
Le nom du roi Math est également un des noms celtiques de l’ours, matu [306] . Et
le nom du roi Mark est celui du cheval ( March ).
Symbolisme ? bien sûr. Les propriétés attribuées à un animal sont alors
reportées sur le personnage qui porte le nom de cet animal. Mais cela ne contredit
nullement la certitude qu’on se trouve devant des survivances de totémisme,
d’appartenance à une lignée dont le signe de ralliement est l’animal en
question.
L’interdiction de tuer l’animal dont on porte le nom est
alors de règle. C’est le cas pour Cûchulainn, et il est probable qu’il devait
en être ainsi pour Arthur à propos de l’ours. En effet, un texte archaïsant, le Roman d’Yder , présente de curieuses aventures :
Yder (Édern), fils de Nudd, dont les rapports avec la reine Guenièvre sont fort
ambigus, au point de déclencher la jalousie du roi, tue un ours qui s’était
introduit dans la chambre de la reine. Ou bien l’ours représente symboliquement
Arthur, ou bien Yder remplace ici Arthur, lequel ne peut pas se permettre de
tuer l’ours [307] . En
tout cas, il est probable que de tels interdits pesaient sur d’autres
personnages aux noms d’animaux. Finn, dont le véritable nom était Demné, ne
pouvait pas tuer de daim, son fils Oisin ne pouvait pas tuer de faon, Art ne
pouvait pas tuer d’ours, ni le roi Mark de cheval. Quant aux interdits
alimentaires, ils devaient être complémentaires.
Tout cela ne ramène pas le druidisme à une forme abâtardie
du totémisme primitif. Le rôle des animaux et aussi des végétaux dans la
mythologie celtique doit être pris en considération. La grande familiarité de
l’homme et de la nature n’explique pas tout. Le symbolisme se superpose
toujours à des croyances plus anciennes puisqu’il emprunte ses signifiants à
des objets qui sont censés être connus par tout le monde, donc qui appartiennent
à une tradition lointaine et solidement fondée dans la mémoire. Certes, si le
totémisme avait été plus important, il se manifesterait dans le système des
clans. Or les clans, en tant que tels, n’existent pas dans la société celtique.
Ce qu’on appelle parfois « clan » n’est qu’une appellation commode
pour désigner un groupe de familles unies par des intérêts communs, sinon par
une origine commune. Mais, au point de vue strictement juridique, le clan
n’existe pas. Par conséquent, s’il y a des traces de totémisme dans le
druidisme – et nous venons de voir qu’il y en a –, elles sont les
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