Le Druidisme
matérialisme rationalisant. « D’après vous [les druides], les ombres
ne gagnent pas le séjour silencieux de l’Érèbe et les pâles royaumes de
Dis ; le même esprit gouverne un autre corps dans un autre monde »
(Lucain, La Pharsale , v. 450-451). « Les
âmes ne périssent point, mais passent après la mort d’un corps dans un
autre » (César, VI, 14). La croyance en l’immortalité de l’âme a dérouté
les Grecs et les Latins qui, eux, n’y croyaient pas. César, en fin stratège,
estime que c’est une astuce des druides, « propre à exciter le courage en
supprimant la peur de la mort » (VI, 14). Pomponius Méla dit la même
chose : « Les âmes sont immortelles et il y a une autre vie chez les
morts, ce qui les rend plus courageux à la guerre » (III, 3). Mais si cela
les étonnait, les auteurs de l’Antiquité classique témoignent tous sans
exception de ce dogme de l’immortalité de l’âme et de la renaissance ailleurs . Valère-Maxime trouve cette opinion
stupide, mais admire qu’elle soit identique à l’opinion de Pythagore (II, 6).
De toute façon, cela n’était point conforme à la pensée méditerranéenne
classique, ni même, à cette époque, à la mentalité d’un certain nombre de Juifs
pour qui le Messie ne devait être qu’un roi terrestre redresseur de torts.
II reste à déterminer comment les Celtes ont vu cet ailleurs .
Car il s’agit bien d’un Autre-Monde. On a pensé, en interprétant à la lettre
les paroles de César (« d’un corps dans un autre »), que les Celtes
ont cru à la doctrine de la transmigration des âmes. Tous les auteurs sont
formels : la renaissance promise a lieu ailleurs ,
et il n’y a dans la tradition celtique absolument aucune trace de métempsycose,
de transmigration des âmes ou de réincarnation dans ce monde-ci. Les exemples
souvent mis en avant, comme ceux de Tuân mac Cairill, de Fintan et même de
Taliesin, ne sont que des cas isolés relevant du mythe, les personnages en
question étant représentatifs de la perpétuelle transformation des êtres et des
choses. En tout cas, il n’y a rien, dans la tradition
celtique, qui ressemble, de près ou de loin, aux doctrines hindoues et
bouddhiques des cycles de réincarnation . Toute affirmation contraire, et
toute tentative d’inclure la pensée druidique dans la pensée orientale par un
vague « retour aux sources » parfaitement fumeux, ne sont que
spéculations intellectuelles gratuites résultant d’une méconnaissance absolue
des documents qui sont nets, précis et sans aucune ambiguïté.
Ailleurs , c’est
l’Autre-Monde. Il est décrit un peu partout dans les récits irlandais et
gallois, et même dans les romans arthuriens. On pourrait y ajouter les contes
populaires de toute l’Europe occidentale qui ne tarissent pas de détails sur ce
séjour d’après la mort. Il n’est pas sinistre, du moins avant que le
christianisme romain n’y ait introduit, avec la culpabilisation des actes
humains, la notion d’Enfer diabolique, châtiment des pécheurs. Le péché est
inconnu des Celtes. Le châtiment éternel est inconnu de la doctrine druidique.
L’Enfer, au sens chrétien, n’est pas pensable dans la pensée druidique.
L’Autre-Monde est l’endroit intemporel et a-spatial où se réalise
le monde imaginé par le plan divin. Il n’y a donc plus de contingences
négatives. Il n’y a plus les trois fonctions nécessaires à l’établissement de
la société divine sur terre, puisque là, cette société divine existe dans sa
perfection. Plus de fonctions, cela signifie : plus de classes. Il n’y a
plus de travail non plus, puisque le travail est souffrance indispensable pour
arriver au dépassement et que là, le dépassement est déjà opéré. Il n’y a plus
de vieillesse, puisque le temps n’existe plus, du moins dans sa version
relative. Il n’y a plus de mort, puisque la mort est transcendée. Ainsi
apparaissent les images somptueuses de l’île d’Avallon, ou d’Émain Ablach,
cette Insula Pomorum des légendes.
Cette île est aussi appelée « Île Fortunée parce que
toute végétation y est naturelle. Il n’est point nécessaire que les habitants
la cultivent. Toute culture est absente, sauf celle que fait la nature
elle-même. Les moissons y sont riches et les forêts y sont couvertes de pommes
et de raisins. Le sol produit tout comme si c’était de l’herbe. On y vit cent
années et plus. Neuf sœurs y gouvernent par une
Weitere Kostenlose Bücher