Le Druidisme
soit efficace,
il faut qu’il y ait d’abord conscience de l’unité du Tout dans ses diversités
apparentes.
Alors seulement l’Esprit peut diriger l’univers, et
lui-même, puisqu’il fait partie de cet univers. Chaque manquement, chaque
faiblesse, chaque erreur, sont autant de retards à l’élan évolutif universel.
Cela suppose évidemment une notion dont on ne fait guère grand cas de nos
jours, celle de la responsabilité . Aveuglés
par le déterminisme scientifique – qui vient à point remplacer le fatalisme
religieux des temps passés –, endormis par les lois de l’hérédité et la
reconnaissance du rôle de l’inconscient dans la vie psychique, nous ne nous
rendons même plus compte que toute liberté est inexistante sans responsabilité.
Être libre suppose la pleine conscience des causes et des effets de ses actes,
et leur totale prise en charge. Cela est valable sur le plan moral, comme sur
le plan de la vie quotidienne, comme sur le plan métaphysique.
C’est ce que semblent avoir compris les Celtes. En éliminant
toute notion de péché, ils n’ont pas éliminé l’idée de responsabilité. S’il n’y
a ni châtiment, ni récompense dans l’Autre-Monde, chacun assume cependant ses
actes et en subit lui-même les conséquences. Et, sur le plan juridique, il en
est de même : la règle des compensations n’est pas un châtiment, c’est une
juste contribution pour rétablir l’équilibre social – donc universel –
compromis par un acte perturbateur. Tout cela se retrouve dans la doctrine que
Pélage, Breton converti au christianisme, devenu théologien et moraliste, a
tenté de diffuser dans l’Église, se heurtant ainsi aux doctrines
méditerranéennes de la faiblesse humaine et du péché, défendues âprement par
saint Augustin. La proposition essentielle de Pélage était que l’être humain
était en possession du Libre-Arbitre absolu : par lui-même, l’homme était
capable de se sauver ou de se damner, de choisir Dieu ou de s’en écarter,
quitte à assumer les conséquences de ce choix. Partant de là, la doctrine pélagienne
débouchait sur une négation de la grâce divine, et aussi sur une mise en doute
du rôle de l’Église. Et l’on sait que l’Église a réagi avec vigueur contre
cette « hérésie » pélagienne, l’éliminant presque complètement, alors
qu’elle semble avoir été facilement acceptée par les Bretons et les Irlandais [351] .
C’est assez significatif : la pensée pélagienne provenait en grande partie
de l’héritage des druides.
Mais ce privilège concédé à l’Esprit n’est pas une négation
de la Matière, ni même sa relégation à un rang inférieur, bien au contraire. La
façon dont les druides se comportent vis-à-vis de la Matière, la disposant à
leur gré, maîtrisant les éléments et les utilisant, est une preuve que l’Esprit
ne peut rien sans la Matière qui en est la complémentarité. Chez les Celtes, le
corps n’est jamais négligé, n’est jamais nié. Les Celtes ne sont pas des
« désincarnés », et l’on ne peut y observer aucune trace d’ascétisme
à la mode de la chrétienté médiévale. Être druide ne signifie pas renoncer à la
chair, comme cela a été le cas dans le christianisme héritier de saint Paul et
de saint Augustin. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que Paul et Augustin,
avant de sombrer dans la désincarnation, furent de joyeux vivants. Leur renoncement
à la chair est survenu au moment où, rassasiés et repus, voire dégoûtés, ils
n’y trouvaient plus aucun charme ni aucun plaisir. Il est facile, dans ces
conditions, de prêcher l’abstinence et l’ascétisme. Les pires sectaires du
« moralisme » sont généralement des hépatiques, des impuissants ou
des syphilitiques qui ne peuvent admettre que les autres fassent ce qu’ils ne
peuvent plus faire. Mais ce « moralisme » n’existe pas chez les
druides, puisqu’il n’y a pas de morale, du moins dans le sens négatif qui a
prévalu depuis les Pères de l’Église.
Il s’ensuit une participation active, pleine et entière du
corps et de la matière, d’une façon générale à la vie de l’Esprit. L’évolution
humaine, parallèle et concomitante à l’évolution de l’univers, passe par l’ exploitation commune du corps et de l’esprit. Être
un héros, c’est être intelligent, « voyant », utile, efficace, mais
c’est aussi être fort physiquement, beau, bien portant, capable de
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