Le Druidisme
celtique qui l’a vu naître. En quelque sorte,
le druidisme est la cause essentielle de la société celtique, et il en est aussi
la conséquence. D’où la place du druide dans la société.
Un texte célèbre, l’épopée irlandaise de L’Ivresse des Ulates , présente ainsi la
situation : « C’était un des interdits des Ulates que de parler avant
leur roi, et c’était un des interdits du roi que de parler avant ses
druides » [20] . On ne
peut mieux, ni plus succinctement, définir le rôle du druide par rapport au
roi. Il est bon de mettre en parallèle avec ce témoignage irlandais ce que dit
Dion Chrysostome à propos des prêtres des peuples de l’antiquité :
« Les Celtes avaient pour prêtres ceux qui sont appelés druides ; ils
étaient experts en divination et en toute autre science ; sans eux, il
n’était permis aux rois ni d’agir, ni de prendre une décision, au point qu’en
réalité, c’étaient eux qui commandaient, les rois n’étant que les serviteurs et
les ministres de leurs volontés » [21] . À la
lumière de différentes anecdotes, le commentaire de Dion Chrysostome paraît un
peu exagéré : il n’y a pas de hiérarchie directe entre le roi et le
druide, et celui-ci n’est pas un super-roi. Le druide conseille , et le roi agit ,
mais il est des conseils qu’on ne peut pas se permettre d’ignorer ou de
refuser, surtout dans une société qui refuse la distinction entre profane et
sacré. Dans les festins, la place du druide est à la droite du roi, et même si
le roi apparaît comme le pivot de la société, le druide en est en quelque sorte
la « conscience ». Le roi n’est rien sans le druide. Au moment de la
guerre des Gaules, chez les Éduens qui avaient pris comme magistrat suprême
(substitut du roi) un certain Cotus, César, pour des raisons politiques, mais
en jouant habilement sur les lois gauloises, « obligea Cotus à renoncer au
pouvoir et il fit remettre l’autorité à Convictolitavis qui avait été nommé par les prêtres à la magistrature
vacante, selon l’usage de la cité » [22] . On
pourrait multiplier les citations de ce genre : elles sont toutes aussi
précises.
Cette conception apparaît parfaitement logique, et son caractère
archaïque, contrairement à ce qui se passe dans les autres Sociétés
indo-européennes, la met en relief tout en la justifiant. Nous sommes en effet
dans un cadre purement indo-européen, c’est-à-dire dans une société dont les
structures sont strictement réglées sur le modèle indo-européen primitif que
Georges Dumézil est parvenu à définir de façon très claire. Le roi est
l’émanation de la seconde classe, celle des guerriers, mais le druide
appartient à la première classe, la classe sacerdotale. La hiérarchie théorique
– et théologique en quelque sorte – veut donc que le druide ait la primauté sur
le roi, même si le roi est celui qui gouverne dans les faits, celui qui
symbolise et incarne l’unité du groupe social considéré. C’est une royauté de
type sacré dans la mesure où le roi – qui n’est absolument pas un dieu incarné,
ni un souverain divinisé – n’a de pouvoir que s’il agit dans le monde des
humains en appliquant à ce monde les plans du monde des dieux [23] .
Ce n’est absolument pas une monarchie absolue, bien au contraire, le souverain
étant davantage un pivot moral autour duquel se bâtit la société. Ce n’est pas
non plus une monarchie de droit divin comme on l’entendait à l’époque
capétienne, le roi celtique n’étant pas placé au-dessus des lois mais au
contraire étroitement soumis à elles dans des conditions qui défient même
l’imagination [24] . Ce
n’est pas non plus une théocratie, puisque le roi n’est
pas un prêtre . Cette conception, qui a été reprise, dans une certaine
mesure, à l’époque de Charlemagne et du Saint-Empire, avec les résultats
décevants que l’on sait [25] , est
un archaïsme indo-européen qui n’a pas d’autres exemples historiques que celui
des Celtes. Chez les Romains, ce n’était déjà plus qu’un souvenir
mythologique ; chez les Grecs et les Germains, c’est également un
souvenir ; chez les Indo-Iraniens, c’est incontrôlable. Seules subsistent
des figurations divines dans des récits qui remontent très loin dans le temps.
En vérité, puisque tout ce qui est en haut est comme ce qui
est en bas, et inversement, comme le dit la célèbre Table
d’Émeraude des
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