Le Druidisme
couleurs et étoilé, au cercle d’argent blanc, avec
une épée de héros à grande prise à son côté gauche, avec deux lances ennemies
et empoisonnées dans ses mains » [31] . On a
beau se dire que le combat qu’il va mener est essentiellement magique,
l’armement de Mog Ruith est franchement redoutable. Et ses ennemis, qui sont
druides comme lui, sont autant de guerriers farouches et bien armés. Certes, il
s’agit d’un récit mythologique, mais César dit presque la même chose à propos
du druide Diviciacos quand il l’exhorte « et lui expose quel grand intérêt
il y a, pour le salut commun, à empêcher la jonction des troupes ennemies, afin
de ne pas avoir à combattre en même temps une si grande multitude ; cela
pouvait se faire si les Éduens faisaient entrer leurs troupes en territoire
bellovaque et commençaient à ravager les champs ; l’ayant chargé de cette
mission, il le renvoie » [32] . En
l’occurrence, le druide éduen, aux ordres de César, a dû se comporter en
massacreur plutôt qu’en pacificateur.
Tout cela peut sembler bien étrange à un observateur des
coutumes indo-européennes : les brahmanes et les flamines ne font certes
pas la guerre et ils sont même soumis à des interdits sévères allant jusqu’à
l’impossibilité de voir une troupe en armes. Par contre, même si l’on est dans
le doute à propos des prêtres germains (y en avait-il ? Sûrement, mais
nous ne savons rien d’eux), on peut être assuré que dans le domaine
germano-scandinave, l’état guerrier et l’état sacerdotal ne sont pas contradictoires :
le personnage d’Odin-Wotan, à la fois dieu-guerrier (mais de la guerre magique)
et dieu-prêtre, semble en apporter le témoignage. Et si l’on sort du domaine
indo-européen, les exemples ne manquent pas de prêtres-guerriers, aussi bien
chez les Hébreux que chez les chrétiens de toute nationalité. Alors, la
question se pose : le caractère guerrier du druide, même temporaire, et
non obligatoire, est-il un trait indo-européen ou un héritage des peuples
autochtones que les Celtes indo-européens ont soumis à leur arrivée en Europe occidentale,
et avec lesquels ils ont formé la communauté qu’on appelle celtique ? En
un mot, le druidisme est-il celtique, ou seulement à moitié celtique ? La
réponse ne peut pas être fournie à partir de cette unique constatation, et nous
verrons plus loin ce qu’il faut en penser.
Il y a d’ailleurs une contre-partie au thème du
druide-guerrier. D’après L’Histoire d’Irlande de John Keating, qui date du XVII e siècle
mais qui est un précieux condensé de la tradition ancienne, personne ne pouvait
être accepté chez les Fiana , cette fameuse
milice guerrière mi-historique, mi-légendaire, dont le chef fut Finn mac
Cumail, père d’Ossian, sans être poète, c’est-à-dire sans appartenir à la
classe sacerdotale. Il y aurait beaucoup à dire sur ces Fiana d’Irlande, sur cette communauté guerrière et
fraternelle itinérante [33] dont
les origines sont obscures, mais qui, incontestablement, sont les prototypes
des Chevaliers de la Table-Ronde. Précisément, parmi ceux-ci, des personnages
comme Tristan, comme Lancelot ou comme Gauvain, réunissent l’héroïsme guerrier
et le raffinement courtois : ils sont aussi poètes et musiciens, donc ils
appartiennent, dans une certaine mesure, à la classe des « clercs »,
autrement dit la classe sacerdotale.
Les druides ont encore une autre fonction sociale importante :
ils sont en effet médecins. Leurs connaissances des « plus hauts secrets
de la nature », comme dit Ammien Marcellin, d’après Timagène (XV, 9), des
« lois de la nature que les Grecs appellent physiologie », comme dit
Cicéron ( De Divinatione , I, 40) à propos du
druide Diviciacos, en faisaient évidemment les plus capables de soigner les
maladies et les blessures. Il n’est pas douteux que la plus importante part de
leur thérapeutique ait été la médication par les plantes. Le fameux passage où
Pline l’Ancien nous décrit la cueillette du gui est assez explicite à ce
sujet : « Ils croient que le gui, pris en boisson, donne la fécondité
aux animaux stériles et constitue un remède contre tous les poisons » ( Histoire Naturelle , XVI, 249). Le gui aurait eu
valeur de panacée universelle, de véritable « potion magique ». Mais
Pline nous informe aussi que d’autres plantes, en particulier la sauge et la
verveine, cueillies dans
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