Le Druidisme
une
poignée de sel, la lance sur le château du seigneur et engloutit celui-ci dans
la terre. Le geste est un geste d’exécration bien dans la tonalité druidique.
C’est un geste magique. Il rappelle que Pantagruel, fils de Gargantua selon
Rabelais, mais personnage démoniaque des Mystères du Moyen Âge, desséchait et
assoiffait ses ennemis en leur jetant du sel, ce qui montre d’ailleurs que
Rabelais n’était pas tout à fait innocent. La coïncidence est trop nette pour
être fortuite. Quant au nom du Gergan , il est
la forme dialectale en haut-vannetais du breton classique Gargam , qui signifie littéralement « Cuisse
Courbe », c’est-à-dire « Boiteux ». Le terme gar , « cuisse », n’est d’ailleurs pas
seulement breton : il a nécessairement existé en ancien français,
puisqu’il a donné les mots français jarretière et jarretelle, ainsi que le mot
anglais garter . Or Gargamelle, qu’on s’évertue
à faire signifier « grande gueule », n’est pas autre chose qu’un
diminutif francisé de Gargam , et son fils
Gargantua lui emprunte tout simplement son nom, quelque peu masculinisé.
Gargamelle et Gargantua sont à l’origine des personnages « à la cuisse
courbe », c’est-à-dire des divinités boiteuses ,
ce qui nous ramène à certaines descriptions du Dagda, et ce qui témoigne en
tout cas, comme dans les exemples d’Odin et de Tyr, le borgne et le manchot,
d’une caractéristique fonctionnelle de la divinité marquée par un aspect
physique contraire. En effet, dans le symbolisme mythologique, il est fréquent
que le très voyant soit borgne ou aveugle, que le dieu de l’éloquence soit
bègue, que le dieu de l’abondance et de la distribution soit manchot (Nuada) et
que le dieu rapide et fort soit boiteux ou unijambiste. À ce compte, Gargantua,
comme sa mère Gargamelle, sont des êtres surnaturels rapides et puissants. Tel
devait être le Gargano des Gaulois que César décrit sous le nom de Jupiter, à
la fois doué d’une grande force physique, d’un solide appétit, d’une sexualité
débordante, et mettant tout cela, comme le Dagda, au service de la lutte contre
les forces des ténèbres et du Chaos, tels les Fomoré.
Précisément, le rapport de ce Dagda-Gargantua avec une figure
de la statuaire gallo-romaine, est assez troublant. Paul-Marie Duval fait
remarquer, à propos du Jupiter gaulois, qu’il est « figuré d’une façon
particulièrement militaire sur une série de monuments gallo-romains nombreux
surtout dans le nord-est et n’ont leur équivalent nulle part ailleurs :
les colonnes du dieu cavalier terrassant un monstre à queue(s) de serpent ou de
poisson (qu’on appelle traditionnellement le « géant anguipède ») ou
soutenu par lui. Alors qu’aucun dieu romain (sauf les Dioscures dans des cas
exceptionnels) n’a été représenté à cheval, ici le dieu du ciel est même figuré
en cavalier militaire, tenant le foudre, parfois la roue. La dédicace le nomme
constamment Iupiter Optimus Maximus » [148] . Ce
fameux groupe dit « du Cavalier à l’Anguipède » n’a pas cessé
d’intriguer les commentateurs. C’est bien un Jupiter, mais il n’est plus romain
que de nom. Il a donc obligatoirement recouvert une divinité gauloise.
« Le symbolisme de ces monuments », continue Paul-Marie Duval,
« est manifestement d’ordre cosmique, métaphysique… Quant au groupe
lui-même qui surmonte l’ensemble, il exprime le triomphe de la lumière céleste,
qui voit tout, sur les forces souterraines et cachées (car le géant paraît
sortir du sol et sa nature serpentiforme souligne son caractère chthonien, le
jour l’emportant sur la nuit, les forces pures sur les forces impures,
peut-être la vie éternelle sur la mort et, occasionnellement, la victoire de la
paix impériale sur le monde barbare). Cette expression-là de la puissance
complexe de Jupiter, c’est en Gaule seulement qu’on l’a trouvée jusqu’à
présent » [149] . Il
n’est sans doute pas indispensable de recourir à une proposition en termes
manichéens faisant intervenir des notions de morale. Il s’agit de métaphysique,
non de morale. Mais, en l’occurrence, la vision proposée par Paul-Marie Duval
semble justifiée : le Cavalier à l’Anguipède, authentique Jupiter gaulois,
n’est autre que Dagda-Gargantua luttant contre les Fomoré, personnification du
chaos originel. Pourquoi l’anguipède ne serait-il pas Balor ? En tout cas,
si ce
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