Le Druidisme
attendrait qu’il s’occupât d’affaires très graves, il trouve toujours le
temps d’aller à ce genre de rendez-vous. Ainsi en est-il lors des préparatifs
de la bataille de Mag Tured. On nous dit même que ce rendez-vous était fixé à
la fête de Samain, ce qui est significatif, et la femme avec laquelle il s’unit
n’est autre que la Morrigane, sorte de déesse de l’amour charnel et de la
guerre. Ce n’est donc pas un hasard. De plus, le Dagda est le « Père de
tous » : il faut bien qu’il assume ses fonctions. Il a de nombreux
enfants, en particulier Oengus (= choix unique), le Mac Oc, personnage
apollinien jeune, et Brigit, la triple déesse qui, elle aussi, recouvre les
trois fonctions. Cette Brigit réapparaît sous le nom de Boinn, épouse de son
frère Elcmar, autre nom d’Ogmé, mais sous un aspect négatif. Et c’est de
l’union adultère de Boinn et du Dagda que naît Oengus. Mais comme Boinn est Brigit,
c’est donc avec sa fille que le Dagda assure, dans une union incestueuse sacrée
et symbolique, la continuité de la race des dieux. Cela ne l’empêche d’ailleurs
pas d’être dépossédé de son domaine de Brug-na-Boyne (le tertre mégalithique de
New-Grange) par son propre fils, le Mac Oc. Celui-ci, conseillé par son père
adoptif Mider (ou Mananann dans une autre version), conclut un pacte avec le
Dagda, aux termes duquel il se fait prêter le domaine pendant un jour et une
nuit. Malheureusement, le Dagda n’a pas pris garde au fait que, symboliquement,
un jour et une nuit expriment la totalité, la négation du temps, c’est-à-dire
l’éternité. Et il est obligé d’abandonner son domaine à son fils. Il faut dire
que la conception et la naissance d’Oengus avaient été aussi un défi au
temps : le Dagda avait en effet envoyé Elcmar en mission pour pouvoir
s’approcher de sa femme, et ayant mis un charme sur Elcmar, celui-ci avait cru
s’absenter un jour et une nuit alors que Boinn avait eu le temps d’accoucher
d’un fils « conçu et né symboliquement en l’espace d’une journée
pleine » [137] . En
somme, le Dagda est une sorte de régulateur du Temps, dont il dispose à son
gré, fonction qui est parfaitement conforme à celle du Jupiter gaulois dont
César dit « qu’il tient l’empire du ciel ».
Mais il faut revenir sur l’aspect glouton et hyper-sexuel du
Dagda. Dans la tradition galloise du Mabinogi ,
le personnage de Brân Vendigeit offre certaines similitudes avec le Dagda.
D’abord, il possède un chaudron de résurrection. Ensuite, c’est un géant,
capable de s’étendre entre deux rives afin d’y faire passer son armée, ce qui
lui permet de dire : « que celui qui est chef soit pont » [138] .
C’est l’aspect « paternel » de Brân. Et quand, à la suite d’une
bataille désastreuse en Irlande, il est blessé au pied d’un coup de lance
empoisonnée, il demande à ses compagnons de lui couper la tête et de l’emporter
avec eux. Cette tête de Brân préside un étrange festin d’immortalité où le
temps est aboli [139] . Ce
Brân le Béni (que d’aucuns ont voulu reconnaître dans le Ban de Bénoïc des
romans arthuriens) fait penser au Brennos semi-historique qui fut le chef de
l’expédition gauloise à Delphes, au second siècle avant notre ère, et qui,
blessé, se fit achever par ses compagnons [140] . En
fait, ce Brân, blessé au pied, a beaucoup de rapports avec le Roi-Pêcheur,
Pellès, et aussi avec un autre héros gallois du Mabinogi ,
Pwyll Penn Annwfn, époux de la déesse Rhiannon, la « grande reine » [141] .
N’oublions pas que le Roi-Pêcheur, surtout dans la version allemande de Wolfram
von Eschenbach, est atteint d’un coup de lance qui le blesse aux parties
viriles, à la suite d’une transgression d’un interdit de nature sexuelle [142] . Le
Roi-Pêcheur, devenu impuissant, ne peut plus gouverner son royaume, lequel
dépérit et devient stérile : il faut alors qu’apparaisse Perceval (ou
Peredur), neveu du Roi-Pêcheur, pour que la situation se rétablisse. Mais c’est
Perceval qui devient roi du Graal à la place du Roi-Pêcheur. N’est-ce pas une
autre version de la transmission de souveraineté qui s’opère à Brug-na-Boyne
lorsque le Mac Oc s’empare du domaine de son père le Dagda ? Il y a là
beaucoup plus qu’une simple coïncidence.
Ce gigantisme qui caractérise le Dagda, tant au point de vue
sexuel qu’au point de vue alimentaire et au simple point de vue
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