Le Druidisme
d’Oengus, veut se
purifier – et sans doute retrouver une sorte de virginité. Elle dit :
« J’irai jusqu’à la belle source de Segais pour que ma chasteté soit hors
de doute. J’irai trois fois dans le sens contraire du soleil autour de la
source vivante sans mensonge » [153] . Il y
a là un rite de circumambulation que l’on retrouve encore actuellement en Bretagne
dans les usages qui concernent certaines fontaines guérisseuses. On remarquera
que Boinn prétend accomplir le rite dans le sens inverse de la marche du
soleil : c’est l’indice d’une volonté de régénération, de retour vers le
passé, ce qui peut faire considérer la Source de Segais comme une Fontaine de
Jouvence. Mais, comme le raconte le Dindshenchas en prose, c’était « une source secrète qui était dans la prairie du sidh de Nechtan. Quiconque y allait n’en revenait
pas sans que ses yeux éclatassent, à moins que ce ne fussent Nechtan et ses
trois échansons… » [154] .
L’opération magique de rajeunissement et de régénération est donc dangereuse.
« Une fois Boinn alla par orgueil, pour éprouver les pouvoirs de la
source, et elle dit qu’il n’y avait pas de pouvoir secret qui atteignît le
pouvoir de sa beauté. Elle fit le tour de la source vers la gauche, par trois
fois. Trois vagues se brisèrent sur elle, hors de la source. Elles lui enlevèrent
une cuisse, une main et un œil. Elle se tourna vers la mer, fuyant sa honte, et
l’eau la suivit jusqu’à l’embouchure de la Boyne » [155] .
Et c’est depuis lors qu’existe le fleuve auquel Boinn a donné son nom, la
Boyne.
La légende étiologique est une chose. Ce procédé courant
pour expliquer mythologiquement le nom d’une rivière, d’une colline ou d’une
vallée, ne masque pas la fable originelle : Boinn veut revenir en arrière,
recommencer le cycle antérieur. Mais c’est une impossibilité et une erreur [156] . Dans
l’éternel devenir qui semble être la conception druidique du monde, on ne peut
revenir en arrière. Il faut au contraire aller de l’avant, et le rajeunissement,
la régénération, est devant et non pas
derrière. Boinn disparaît en tant que « vache blanche » [157] , mais
elle va réapparaître en tant qu’Étaine, héroïne d’une des plus belles histoires
d’amour de l’Irlande [158] ,
Étaine, fille d’un roi d’Ulster, épouse du dieu Mider, puis après une autre
naissance, épouse du roi Éochaid, est l’ancêtre d’une lignée royale. Et là,
elle portera le surnom de Bé Finn , la
« belle femme », ou la « Femme Blanche ». Ce personnage
mythologique de la plus haute importance ne va d’ailleurs pas sombrer dans
l’oubli. Franchissant les mers, comme la plupart des légendes irlandaises, il
sera récupéré par les auteurs de romans arthuriens. En effet, et c’est quand
même assez surprenant, on retrouve Boinn-Bé Finn sous le nom de Viviane dans la légende de
Merlin, celle qui deviendra la Dame du Lac, l’initiatrice de Lancelot du Lac [159] . Les
dieux ne meurent jamais. Ils se transforment.
Mais, sous l’aspect d’Étaine, Boinn s’est humanisée. Elle
perd peu à peu sa qualité de déesse primordiale pour devenir la Souveraineté
incarnée. Et dans une variante de la légende, elle prend le nom d’Ethné, ou
Éithné : elle se dépouille alors de sa qualité de Tuatha Dé Danann,
renonce à sa divinité païenne et se fait baptiser par saint Patrick [160] . La
fable est encore une fois très éloquente : malgré le changement de
religion, la divinité ne meurt jamais vraiment, mais se transforme selon les
conceptions nouvelles. Boinn-Brigit ne devient pas seulement
« sainte » Brigitte de Kildare : puisqu’elle est la mère des
dieux de l’Irlande druidique, elle peut tout aussi bien être la Vierge Marie,
mère du Dieu chrétien, en même temps d’ailleurs que son « épouse » et
sa « fille ». Le contenu théologique est identique si l’on condescend
à creuser sous les apparences.
Mais si Brigit-Minerve est représentative de la troisième
fonction, procurant la fécondité et l’abondance, elle est aussi banfile , c’est-à-dire « femme-file », ou
« femme-poète », ou encore « femme-prophétesse », ce qu’on
traduit improprement par « druidesse ». Il faudrait, dans ce cas,
utiliser le terme banrui , littéralement
« femme-druide ». Cela repose le problème de l’existence des
druidesses. Mais ce n’est pas parce que Brigit
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