Le Fardeau de Lucifer
de la muraille, sans plus de succès. Le long des fortifications, il n’y avait que des agonisants et des morts.
— Pernelle ! hurlai-je, les mains en porte-voix en tournant sur moi-même comme un dément. Pernelle !
Mon amie semblait s’être volatilisée.
Je quittai le chemin de ronde en bousculant ceux qui se trouvaient sur mon passage et descendis quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait à la place. Là, j’entrai presque en collision avec Roger Bernard et son père.
— Tu l’as trouvée ? s’enquit le jeune comte, l’air sincèrement troublé.
— Non.
— Elle a dû partir vers une des infirmeries sans que tu la voies. Viens. Allons la trouver.
— Je vais la faire chercher de mon côté, ajouta Raymond Roger.
Le jeune comte m’entraîna vers le pourtour de la place, là où les infirmeries de fortune étaient aménagées dans des maisons. J’éprouvais une profonde reconnaissance envers ce jeune homme solide, qui sentait mon trouble et prenait les choses en main. Il ne me connaissait que depuis quelques semaines et, pourtant, il me témoignait déjà une grande compassion dont je me sentais indigne.
Nous entrâmes dans une maison sur la droite et tombâmes en pleine apocalypse. Des hommes atrocement brûlés gisaient sur des grabats, les chairs boursouflées et couvertes de cloques desquelles s’échappait un liquide clair. Certains n’avaient plus de cheveux, d’yeux ou même de visage. D’autres avaient un membre si enflé que je ne pouvais imaginer qu’il puisse échapper à l’amputation. D’autres encore avaient la chair du dos ou du ventre à vif, des lambeaux de peau s’en détachant. De partout montaient des râles, des gémissements et des cris déchirants.
Des Parfaits s’affairaient autour des blessés et faisaient tout en leur pouvoir pour soulager leur souffrance en versant de l’eau fraîche sur leurs plaies puis en y appliquant des onguents. Parmi eux, j’aperçus Cécile, les cheveux en broussaille et le visage en sueur, qui allait d’un lit à l’autre pour ramasser les chiffons souillés et les remplacer par des propres. Lorsqu’elle me vit, son visage s’éclaira de soulagement, mais elle se contrôla aussitôt devant son frère. Elle s’approcha de nous.
— Je cherche dame Pernelle, expliquai-je. Elle a disparu.
— Ton amie ? Je ne l’ai vue nulle part, mais je garderai l’œil ouvert. Tu vas bien ?
— Je suis en un seul morceau.
— Bien, dit-elle avec une distance étudiée.
Elle retourna vaquer à ses occupations. Près de l’entrée, un Parfait coupait des lanières de peau brûlée sur le torse d’un homme qui hurlait de douleur et qui finit par s’évanouir. Je m’approchai et lui demandai s’il avait vu Pernelle.
— Elle fait sans doute comme moi et essaie de sauver les vies que vous autres, soldats, gaspillez avec tant d’insouciance, rétorqua-t-il brusquement sans se retourner.
L’homme tâta le pouls du blessé et se retourna vers le fond de la salle.
— Un consolamentum ici dès que possible ! cria-t-il à l’intention de quelques autres Parfaits dont l’octroi du sacrement des cathares semblait être le rôle dans ce mouroir.
Roger Bernard et moi sortîmes et recommençâmes le même manège dans une dizaine de salles de soin, sans plus de succès. J’étais au comble du désespoir.
— Cette petite est importante pour toi, non ? remarqua-t-il avec tact.
— Plus que tu ne pourras jamais l’imaginer, lui confiai-je. Nous venons du même village, dans le Nord. Je la connais depuis ma tendre enfance. Elle. elle est ma seule amie.
— Deux convertis sortis de Rossal, remarqua le jeune comte. Ma foi, nous devrions y envoyer une mission.
— Il est trop tard pour cela, murmurai-je sombrement.
— Il reste encore une infirmerie, m’informa Roger Bernard. Viens. Elle doit y être.
Quand nous entrâmes, une Parfaite se dirigea vers nous et, d’un regard critique, nous détailla de la tête aux pieds.
— Aucun d’entre vous n’est assez gravement blessé pour être ici, déclara-t-elle avec autorité. Attendez dehors. Nous nous occuperons de vous quand nous aurons le temps.
— Nous cherchons dame Pernelle, la détrompai-je.
— Dame Pernelle ? La dernière fois que je l’ai vue, elle était devant la muraille. Le grand blond à l’air féroce qui est arrivé avec toi était près
Weitere Kostenlose Bücher