Le Fardeau de Lucifer
Saisissant l’occasion, je me levai, Memento toujours en main, et titubai vers les Toulousains, Ugolin me suivant de près.
Lorsque je fus près d’eux, Roger Bernard se retourna. Dans la pénombre, je le vis se raidir de surprise. Soulagé, je m’arrêtai. Puis quelque chose me déchira le dos. Foix disparut et avec lui le monde autour de moi.
Je m’éveillai dans un lit chaud et douillet. En ouvrant les yeux, je ne reconnus pas l’endroit. Les idées embrouillées, j’en conclus que j’avais été à nouveau capturé. Je fis mine de me dresser sur mon séant, mais une douleur vive me frappa à la hauteur de l’omoplate droite et me coupa le souffle. Je retombai sur le dos, haletant et sans forces.
— Reste tranquille, fit une voix familière.
Je tournai la tête. Deux silhouettes se tenaient côte à côte près de ma couche. Je clignai des yeux à plusieurs reprises et elles finirent par fusionner en une seule. Roger Bernard de Foix sourit et s’assit sur le bord du lit.
— Où suis-je ? m’enquis-je avec un filet de voix.
— Dans ma chambre. Dans les circonstances, c’était le moins que je puisse faire.
— Pernelle. ? fis-je d’une voix faible, n’osant pas formuler ma question.
— Ne crains rien, mon ami, dit-il, un large sourire éclairant son visage. Tu as réussi. Elle est saine et sauve. Et Ugolin aussi. Il est lacéré comme un forçat, mais je crois que rien n’en viendra jamais à bout de celui-là.
Le réconfort que je ressentis fut intense. Je fermai les yeux et laissai échapper un long soupir. Puis je tentai de changer un peu de posture et la douleur me traversa à nouveau.
— Essaie de ne pas trop bouger, sinon ta blessure va se rouvrir et tu as déjà assez saigné comme ça. Tu étais blanc comme un linge quand je t’ai ramené ici.
Je passai la main sur ma poitrine et découvris qu’elle était enveloppée dans un épais bandage serré. Je l’interrogeai du regard.
— Tu es dans un sale état, expliqua-t-il. D’après le Parfait qui s’est occupé de toi, tu as quelques côtes cassées et il lui a fallu plusieurs pieds de fil pour recoudre toutes les coupures que tu avais au visage. Sans compter les bleus et les bosses. Et puis.
Hésitant, il se mordilla la lèvre inférieure.
— Et puis quoi ?
— Eh bien. J’espérais profiter du fait que les croisés étaient occupés avec mes hommes pour m’infiltrer dans leur camp par-derrière et te retrouver si je le pouvais. J’ai réussi mieux que je ne le croyais ! Lorsque tu as surgi de derrière cette tente, tu as pris tout le monde de court. Tu avais ton arme à la main et. euh. un de mes hommes t’a confondu avec un croisé. Il allait t’embrocher quand je l’ai arrêté. Tu t’en es tiré avec une vilaine entaille sous l’omoplate, mais on m’assure que le poumon n’est pas crevé. Tu dois seulement rester tranquille quelque temps. Et, autant que faire se peut, éviter de tousser. Ou de rire. Mais bon, tu ne ris pas souvent.
La remarque me fit sourire et Roger Bernard me le rendit, satisfait. Un domestique frappa, puis entra avec un plateau sur lequel se trouvaient une cruche de vin et deux gobelets. Il le déposa sur la table, près du lit, avant de se retirer. Le jeune comte nous versa deux rasades.
— Mais tu peux certes boire. Tout le monde sait que le vin aide la guérison, dit-il en me faisant un clin d’œil.
Il leva son verre.
— À la tienne. Je n’y croyais pas, mais tu as réussi, bougre d’illuminé, dit-il avec admiration.
Je bus sans enthousiasme.
— Plus ou moins. J’ai perdu Montbard.
Le sourire quitta le faciès de Roger Bernard.
— En guerre, les pertes sont inévitables, fit-il avec une moue embarrassée. Je parierais mes terres qu’il est mort dans l’honneur, comme le soldat qu’il était.
— Tu n’as pas idée. J’ai aussi retrouvé Raynal. Ce fils de chienne nous avait trahis.
Je lui racontai tout ce qui s’était déroulé pendant mes quelques heures de captivité. La torture qu’avaient subie Montbard et Ugolin, la façon dont on m’avait battu, le viol de Pernelle, la manière dont nous avions fini par retrouver notre liberté et le terrible tribut que cela avait exigé. Evidemment, je tus toute référence à l’Ordre des Neuf, qui avait été à l’origine de tout ce gâchis. La réputation de cruauté des croisés suffisait amplement à justifier mon
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