Le Fardeau de Lucifer
dans les yeux et je ne doutais pas un instant de son intégrité. Le Magister que j’étais devenu se dit que ce jeune homme, issu d’une des anciennes familles les plus glorieuses, ne déparerait nullement l’Ordre des Neuf.
Pernelle s’affairant toujours sur moi, je lui en révélai autant que je le pouvais sans trahir le secret dont j’étais en charge. Je lui appris d’abord l’existence de l’Ordre des Neuf. Je lui parlai de sa création en Terre sainte par Hugues de Payns et huit membres des anciennes familles, puis de son existence sous le couvert de l’Ordre du Temple. Il m’écouta sans m’interrompre, un pli de concentration lui traversant le front.
Pendant que je palabrais, Pernelle plaça ses mains à plat de chaque côté de mon nez, le saisit et donna un coup sec vers le centre de mon visage.
— Aïe ! m’écriai-je, un éclair me traversant les yeux et le front.
— Tu avais les deux narines qui pointaient du même côté.
Elle se recula d’un pas pour admirer son travail.
— Voilà. Il est à peu près droit, dit-elle, satisfaite.
Puis elle sortit une aiguille et du fil et s’attaqua à mes coupures, dont une particulièrement profonde au-dessus du sourcil. La langue sortie, elle sutura. Je poursuivis mon récit à l’intention de Roger Bernard. Je lui parlai des documents qu’avaient découverts les fondateurs de l’Ordre, sous les ruines du temple du roi Salomon, et de leur renvoi final en terre ancestrale, entre les mains du jeune Bertrand de Montbard.
— Ton maître d’armes, remarqua-t-il. Et ce Raynal ? Il faisait partie de l’Ordre, lui aussi ?
Pendant que Pernelle achevait de me recoudre, je lui résumai brièvement ce qui s’était passé depuis deux ans : ma rencontre avec des membres de l’Ordre à Quéribus, l’attaque des croisés sur le chemin de Montségur, mon initiation, la tentative avortée de Raynal pour voler les parchemins, la mort de Ravier, puis mon élection comme Magister et les instructions qui l’accompagnaient.
— Mais qu’y a-t-il donc sur ces documents pour que les croisés les désirent tant ? Tout ce secret n’a tout de même pas été organisé pour préserver une recette de civet de lapin.
— C’est ce que je ne pourrai jamais te dire, à moins que tu ne deviennes un jour un des Neuf. Mais sache qu’ils confirment ta foi. Pour le reste, tu devras me faire confiance.
Je cherchai du regard l’approbation de Pernelle et d’Ugolin. Leur air grave suffit à convaincre Roger Bernard que je disais vrai. Il considéra la situation en se frottant pensivement le menton. Puis il en vint à une décision.
— Si je comprends bien, il existe d’autres documents semblables quelque part, et seul ce Cancellarius Maximus sait où, résuma-t-il.
— C’est exact.
— Tout cela est fort distrayant, mais quel rapport avec le fait que je vous ai retrouvés couverts de merde, ma sœur et toi ?
— C’est là que les choses se corsent.
Je lui fis le récit de ma décision de contacter le Supérieur inconnu, puis de mes tentatives une fois dans Toulouse, de sa première réponse et, enfin, des événements qui avaient entouré la deuxième, la veille, ce qui me conduisit à expliquer le rôle qu’avait tenu sa sœur à mon insu. Pernelle et Ugolin, qui ignoraient tout de ces développements récents, furent étonnés. Mon amie cessa net de suturer et m’adressa un regard incrédule.
— Tu pensais nous mettre au courant quand, au juste ? demanda-t-elle d’un ton vexé.
— C’était ma prérogative de Magister, rétorquai-je. Et si tu ne t’étais pas mis en tête de m’accompagner, tu ne te serais pas retrouvée mêlée à tout ça. J’espérais arriver à Toulouse avant les croisés. Et crois-moi, s’il y avait eu la moindre chance d’occire Montfort en plus, je ne m’en serais pas privé. Les choses n’ont pas tourné comme je l’espérais.
Je reportai mon attention sur Roger Bernard, qui se frottait le visage de sa grosse main calleuse. Visiblement, ce qu’il venait d’entendre était beaucoup et il avait du mal à tout absorber.
— Ma petite sœur, impliquée dans cette histoire de fous, murmura-t-il d’un ton fatigué. Au fond, je ne devrais pas être surpris. Elle a toujours été proche d’Esclarmonde, et il est bien connu dans ma famille que ma tante vit davantage dans l’ombre que dans la lumière. Je comprends mieux,
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