Le Fardeau de Lucifer
intestine dans le camp cathare, qui ne pourrait que nous nuire.
Saint-Martin-Lalande ne se trouvait qu’à dix-sept lieues de Toulouse et nous franchîmes les premières à toute allure. Je remerciai intérieurement Pernelle, dont les bandages maintenaient mes côtes bien en place malgré la façon dont Sauvage me secouait. Néanmoins, chaque élan de ma monture m’était un calvaire et j’étais trempé de sueur après la première lieue. Roger Bernard chevauchait avec Ugolin et moi à sa droite. Derrière nous suivaient cinq hommes bien armés. Ugolin avait suggéré un raccourci qui nous permettrait de croiser le chemin pris par le comte et je comptais sur sa connaissance du pays pour intercepter le mécréant avant qu’il n’atteigne sa destination.
Quand nous fûmes à six ou sept lieues de Saint-Martin, nous ralentîmes le pas et envoyâmes un éclaireur. Une heure plus tard, il revint, le pelage de son cheval ruisselant de sueur, mais porteur des informations que nous attendions.
— Le comte de Toulouse n’a pas encore atteint Saint-Martin, dit-il à Roger Bernard. Il est à deux lieues devant nous.
— Ses troupes ?
— Quinze hommes. Il voyage léger, comme vous l’aviez prévu.
— Ils sont bien armés ?
— L’épée au côté. Ni lances, ni écus, ni heaumes. Il s’agit plus d’une escorte honorifique qu’autre chose.
Roger Bernard me lança un regard complice, un sourire carnassier lui fendant le visage.
— Deux contre un. Qu’en penses-tu ?
— Nos chances m’apparaissent excellentes, rétorquai-je. C’est presque injuste pour le vieux fredain.
— C’est ce que j’espérais entendre.
Il se retourna vers l’éclaireur en lequel, visiblement, il avait une totale confiance.
— Quelle route suggères-tu, Privat ?
L’autre désigna une direction de la main.
— Le chemin suivi par le comte fait un long détour. En allant par là, nous lui couperons la voie.
— Nous ferons ainsi, alors. Donne à boire à cette pauvre bête, puis retourne en avant et reviens me faire rapport.
— Bien, sire.
Il fit aussitôt demi-tour et disparut dans la nuit. Nous tirâmes nos armes et fonçâmes à toute vitesse dans la plaine, nos montures négociant le trajet malgré la noirceur. Quand Privat reparut, nous nous arrêtâmes pour entendre son rapport.
— Ils sont tout près, nous informa-t-il. Ils avancent au trot. On les entend à une lieue. De toute évidence, ils ne se doutent de rien.
— Parfait, dit Roger Raymond en hochant la tête, l’air coquin.
Il se tourna vers moi.
— Gondemar ? Ton idée ?
— Quatre hommes de chaque côté du chemin. Nous les laissons passer pour les prendre à revers. Nous frappons vite pour égaliser les forces, puis nous nous occupons de ceux qui restent.
— Simple et efficace. Je reconnais bien là celui qui a semé la terreur autour de Cabaret.
— J’ai appris de Pierre Roger et il savait y faire, crois-moi.
Roger Bernard donna les ordres en conséquence et nous nous
approchâmes en faisant le moins de bruit possible tout en nous hâtant pour devancer nos proies. Lorsque nous parvînmes au chemin, quatre des hommes de Foix restèrent d’un côté alors que Roger Bernard, le cinquième soldat, Ugolin et moi le traversions pour nous cacher dans le noir, à deux toises de la route. Puis nous dégainâmes et attendîmes.
Dans le noir, j’avais presque l’impression que Bertrand de Montbard était à mes côtés, aux aguets et sûr de lui, tel un loup guettant sa proie. Je pouvais l’imaginer sans peine, le visage dur, les lèvres serrées, le regard fixant le lointain, le corps tendu comme une corde de luth, l’arme au poing, prêt à bondir sur son adversaire et à le tailler en pièces. Je constatai avec étonnement que je me tenais exactement comme lui. Malgré moi, je souris. Encore une fois, le diable d’homme avait eu raison. Ce que j’étais est en toi et le restera pour toujours. Il m’avait fait et faisait partie de moi. J’en éprouvais une grande fierté, même si j’avais si souvent failli.
Le bruit de sabots qui approchaient me tira de ma nostalgie. À côté de moi, Roger Bernard me posa une main sur l’épaule pour m’indiquer qu’il avait entendu, lui aussi. Je sentis Ugolin se raidir sur sa selle, avide d’en découdre. Je n’avais nul besoin de voir de l’autre côté de la route pour savoir que
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