Le Fardeau de Lucifer

l’enfonçai dans la fiente pour l’éteindre. Un peu de lumière eût été utile, mais mieux valait ne pas attirer l’attention. Nous devrions nous contenter du faible éclairage donné par le quart de lune.
    Cécile se mit en marche et je la suivis. Situé dans Toulouse même, le châtelet du comte était entouré d’un petit muret, mais, comme la ville entière était protégée par la muraille, il n’était pas nécessaire de le garder. En quelques minutes, nous nous retrouvâmes dans des rues que je ne connaissais pas. Cécile, elle, savait parfaitement où nous étions et procédait d’un pas assuré.
    Nous marchions depuis une demi-heure environ lorsque trois hommes à cheval surgirent au bout d’une ruelle. Dès qu’ils nous aperçurent, ils tirèrent leur arme à l’unisson.
    —    Halte ! s’écria un des cavaliers.
    —    Putain de Dieu, grommelai-je. On a découvert notre fuite.
    Avec toutes les misères du monde, je brandis mon épée tout en sachant que, dans l’état où je me trouvais, je n’avais aucune chance de tenir tête à trois hommes à cheval. De l’autre main, je poussai Cécile derrière moi.
    Les trois cavaliers s’avancèrent lentement vers nous et je me mis en garde. Contrairement à mon habitude, je tenais mon épée à deux mains tremblantes, mes côtes meurtries ne me permettant pas d’en porter le poids autrement. À ma surprise, ils s’arrêtèrent à une vingtaine de pas et l’un d’eux nous dévisagea. Puis il se tourna et mit les mains en porte-voix.
    —    Sire ! Ils sont ici ! s’écria-t-il d’une voix forte.
    Au loin, une voix répondit quelque chose et un bruit de galop retentit dans la nuit. Une minute plus tard, cinq autres cavaliers surgissaient au bout de la ruelle. Ils foncèrent droit sur nous. Je faisais maintenant face à huit hommes. Même en santé, je n’aurais eu aucune chance.
    L’un d’eux descendit agilement de sa monture avant même qu’elle ne se soit complètement immobilisée. Il se précipita à grandes enjambées vers nous. Je crus que mes jambes allaient céder sous moi quand je reconnus Roger Bernard et abaissai mon arme. Il m’écarta brusquement de son chemin sans m’accorder la moindre attention et inspecta frénétiquement le visage de sa sœur, puis ses mains couvertes de bandages souillés. Comblé de la trouver vivante, il la prit dans ses bras, indifférent au fait qu’elle était couverte d’excréments, et la serra si fort que je craignis qu’il ne la casse. Lorsqu’il fut satisfait, il se tourna vers moi, l’air menaçant et le regard noir.
    —    Bougre de Dieu, gronda-t-il. Il suffit que ma petite sœur disparaisse en ta compagnie pendant une journée pour que je la retrouve estropiée et couverte de fiente. Ne t’avais-je pas prévenu d’y faire attention ?
    Il leva une main et, instinctivement, je reculai d’un pas, certain qu’il allait me frapper. Il me la posa plutôt sur l’épaule.
    —    Heureusement, tu me la ramènes vivante, dit-il, et à te voir, tu as payé cher pour la protéger.
    —    En fait, répondis-je avec un mélange de soulagement et d’embarras, c’est plutôt ta sœur qui m’a sauvé.
    —    Voilà qui ne m’étonne guère. La petite démone est pleine de ressources.
    —    C’est le moins qu’on puisse dire. Et de courage aussi.
    Je souris à Cécile, qui me le rendit. Puis je désignai les chevaux.
    —    Nous devons la faire soigner au plus vite.
    Roger Bernard hocha la tête en guise d’assentiment. Il saisit sa sœur par la taille et la posa sur sa monture, puis se remit en selle derrière elle. Un de ses hommes me tendit la main et je montai derrière lui, le crissement de mes côtes m’arrachant un grognement de souffrance. Puis toute la troupe s’élança au galop vers le châtelet des Foix.
    Une trentaine de minutes plus tard, nous étions dans la salle commune. Raymond Roger avait envoyé un éclaireur avertir les Parfaits, qui nous attendaient à notre arrivée, prêts à nous soigner. Dès lors, Cécile et moi fûmes pris en charge. Pernelle, qui semblait avoir tout naturellement établi son autorité sur le groupe, ordonna qu’on nous lave d’abord de pied en cap.
    —    Enlève-lui ses bandages et assure-toi de bien laver ses plaies, intima-t-elle au Parfait qui entraînait Cécile vers sa chambre. Il ne doit y rester aucune immondice.
    —    Oui, dame Pernelle, répondit l’homme avec ce respect que mon amie