Le Fardeau de Lucifer
le talent du peintre.
Intrigué, je m’approchai pour mieux voir la fresque dans la lumière de l’unique flambeau. Les volutes évanescentes semblaient si réelles que j’avais l’impression de pouvoir les toucher. Chacun des cinq individus portait une robe blanche immaculée et avait le même air androgyne et sans âge. Leurs cheveux blancs comme neige et droits se drapaient sur leurs épaules. Leur visage était dénué d’expression, mais leurs regards désincarnés brillaient d’une lumière surnaturelle. Un frisson de frayeur me parcourut le dos lorsque je détaillai celui qui se trouvait au milieu du groupe, dans une position d’autorité. Il tenait dans la main une crosse dorée et ses yeux me donnaient l’impression de ne regarder que moi, de me juger. Je suis Métatron, résonna une voix dans ma tête. Je porte la voix de Dieu et j’annonce sa volonté aux hommes. Je gouverne la mort et le pardon. La ressemblance était frappante et, malgré moi, j’eus l’impression d’être de retour en enfer, face à l’être qui m’avait fait si peur. Son index gauche était pointé vers celui qui regardait la fresque, vers moi.
Perturbé, j’allais m’arracher à ma contemplation pour rejoindre les autres membres de l’Ordre lorsque je notai, tout au bas de la fresque, une inscription. Je m’accroupis pour la lire : fais maintenant ce que voudras avoir fait quand tu te mourras.
Le message ne pouvait être plus clair. Métatron me rappelait la raison pour laquelle j’étais en vie. Ou m’accordais-je une importance que je n’avais pas ? J’ignorais qui avait peint cette fresque, mais assurément il avait vu les archanges en songe ou de ses propres yeux. Comment expliquer autrement la ressemblance ? Avait-il été un damné en sursis, comme moi, ou un messager élu de Dieu ? Son œuvre me confirmait en tout cas le lien entre Métatron, l’Ordre des Neuf, la Vérité et moi-même.
Je me fis violence pour m’arracher à la scène et me relevai. Je devais assister à l’assemblée. Sur le mur qui faisait face à l’escalier se trouvait une seconde porte. Sans parvenir à me débarrasser tout à fait de cette impression que le regard accusateur de Métatron pesait entre mes omoplates, je m’en approchai et frappai à nouveau trois coups. Elle fut aussitôt entrouverte. Dame Esclarmonde m’accueillit et me laissa entrer. Pour la première fois, je pénétrai dans le temple secret en tant que membre légitime de l’Ordre des Neuf.
Les parois de pierre grossière, les flambeaux qui l’illuminaient, le dallage noir et blanc du plancher, les fauteuils à haut dossier disposés sur le pourtour ; tout était tel que je m’en souvenais. Au centre trônait l’autel rectangulaire recouvert d’un linge blanc, sur lequel se trouvaient le crucifix que j’avais profané, le sceau et la cassette. À la vue de celle-ci, je tâtai malgré moi la clé qui ne quittait jamais mon cou depuis qu’on me l’avait confiée, et que j’avais passée dans le même lacet que la croix donnée jadis par Pernelle. Sur le mur du fond, derrière le fauteuil du Magister, étaient suspendus l’écu et l’épée. De chaque côté du fauteuil, plantés dans un socle de pierre, le baucent et l’abacus semblaient attendre leur maître.
Les membres avaient déjà pris place, chacun drapé dans son manteau blanc, ceux des templiers arboraient la croix pattée rouge, les autres étaient immaculés. Je les saluai de la tête et me rendis à mon fauteuil sur lequel mon propre manteau, dénué de décoration, se trouvait. Je le revêtis et m’assis à mon tour.
Après quelques minutes, sire Ravier fit son apparition en compagnie de Véran. L’air tourmenté et malade, il traversa le temple et se dirigea vers son fauteuil d’un pas incertain. En l’absence de Montbard, l’Ordre était aussi complet qu’il pouvait l’être, avec son maître et huit membres. La cérémonie allait débuter et je réalisai soudain que je n’avais aucune idée de ce que je devais faire. Comme s’il lisait dans mes pensées, le Magister se pencha vers moi.
— Imite les autres, me chuchota-t-il. Tout ira bien. Nous avons tous vécu une première rencontre.
Il toisa un moment l’assemblée, saisit son maillet et frappa un coup sec sur le plateau posé à droite de son siège. Tous les membres se levèrent d’un coup et se mirent à l’ordre, la main sur le cœur. Je fis comme eux. Puis, le rituel centenaire s’enclencha. Ravier
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