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Le Fardeau de Lucifer

Le Fardeau de Lucifer

Titel: Le Fardeau de Lucifer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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entendu parler de toi. Je m’appelle Eiquem de Castres.
    De la main, il fit comprendre à la tavernière d’apporter un second gobelet, ce qu’elle fit aussitôt. Eiquem le remplit.
    —    Castres ? Tu as parcouru un long chemin pour arriver jusqu’à Montségur.
    —    C’est mon métier. Depuis que cette maudite croisade a débuté, j’ai abandonné la tonnellerie de mon père pour répandre les nouvelles. C’est ma façon à moi de combattre.
    —    Et quelles sont-elles, ces nouvelles ?
    —    Pas très bonnes. Le comte Raymond VI de Toulouse fait à nouveau des siennes.
    Je savais déjà qu’en faisant assassiner Pierre de Castelnau, le légat du pape, deux ans et demi plus tôt, Raymond avait fourni à Innocent III le prétexte qu’il cherchait pour déclencher la croisade. Puis, pour sauver ses terres d’abord et son âme ensuite, il était passé dans le camp des croisés, faisant ainsi lever l’excommunication qui pesait sur lui. Il avait même accepté d’être fouetté en public par Arnaud Amaury, qui s’en était d’ailleurs vanté lorsque Evrart de Nanteroi, Montbard et moi-même nous étions présentés devant lui à Béziers.
    Après deux verres, Eiquem se réchauffa petit à petit. Il m’apprit que le comte s’était retrouvé à nouveau excommunié après le massacre de Béziers. Il avait négocié en secret son retour au sein de l’Église, mais les conditions imposées par le pape frôlaient le délire. Il était exigé de lui qu’il abandonne le recours aux mercenaires, qu’il paye ses dus au clergé, qu’il ne lève plus de taxes, qu’il n’emploie plus de juifs, qu’il remette tous les hérétiques habitant ses terres entre les mains des croisés d’ici un an, qu’il fasse démolir tous ses châteaux du Languedoc, qu’il ne mange pas de viande plus que deux fois par semaine, ne porte qu’une bure brune comme un vulgaire moinillon, fasse pèlerinage en Palestine et y reste jusqu’à ce que l’Église juge bon de lui accorder son pardon. Les nobles de ses terres devaient quant à eux remettre toutes leurs propriétés aux croisés. Naturellement, le comte avait refusé net et son excommunication avait été confirmée.
    —    De sorte que, maintenant, ni les chrétiens ni les cathares ne veulent de ce sournois de Raymond, qui ne cesse de changer de camp, complétai-je.
    —    Un pestiféré aurait plus d’amis que lui. Et pourtant, la protection de Toulouse, la ville la plus importante de la région, dépend en partie de lui. Heureusement, le comte Raymond Roger de Foix et son fils, Roger Bernard, y sont stationnés. Ce sont eux qui mènent vraiment les troupes.
    —    Le comte de Toulouse ne doit pas apprécier, remarquai-je.
    —    Disons que, à ce qu’on entend, leurs relations sont tendues, confirma-t-il avec un sourire narquois qu’il cacha en avalant une gorgée de vin.
    Tous savaient que, le printemps revenu, Simon de Montfort sortirait de Carcassonne comme une bête sauvage après l’hibernation et recommencerait à ravager le Sud. Quelque chose me disait qu’il ne perdrait pas de temps à profiter de la position de faiblesse de Raymond VI pour tenter de s’emparer de Toulouse. S’il y parvenait, ce serait sa prise la plus importante et une catastrophe pour les bons chrétiens. Heureusement, tant qu’il serait occupé dans ces contrées, il resterait loin de Montségur et de la Vérité.
    —    Et toi, Eiquem ? m’enquis-je. As-tu une famille ?
    Une ombre traversa le visage de mon interlocuteur, mais elle se dissipa aussi vite qu’elle était apparue.
    —    Une femme, deux filles et un fils nouveau-né que je n’ai pas encore vu, répondit-il, attendri. Je ferai enfin sa connaissance à mon retour.
    Il soupira, las.
    —    Il me tarde de les retrouver. Et toi ?
    —    Célibataire et apatride, j’en ai peur.
    Et damné, n’osai-je pas ajouter.
    —    En prenant notre parti, tu as fait un choix, comme chacun de nous. Certains sont plus difficiles que d’autres, dit Eiquem, songeur. Certains nous sont aussi imposés.
    —    Tu ne crois pas si bien dire.
    Un indéfinissable malaise s’installa entre nous. Eiquem avala quelques gorgées de vin puis demeura silencieux. Je sentais chez lui une profonde tristesse et me demandai ce qui avait bien pu assombrir ainsi le caractère de cet homme encore jeune qui œuvrait pour une cause en laquelle il croyait. Par la suite, nous discutâmes de tout et

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