Le Fardeau de Lucifer
vue, il laissa son regard errer sur le temple et sur ses occupants, comme je l’avais moi-même fait. Quand il m’aperçut, ses yeux s’écarquillèrent d’étonnement et sa bouche s’ouvrit toute grande. J’inclinai légèrement la tête et lui adressai un sourire un peu embarrassé que je voulais rassurant. Il en parut soulagé. On lui retira ses liens et il fut présenté en procession solennelle à chacun de ses nouveaux frères et sœurs.
— Je suis Gondemar, seigneur de Rossal, dis-je lorsqu’il fut devant moi, en prenant conscience que c’était là le seul titre auquel je pouvais prétendre, n’étant ni templier, ni cathare et encore moins descendant d’une des familles fondatrices. Beau frère, je te reçois parmi les Neuf.
— Mes frères et sœurs, acclamons notre nouveau frère ! s’écria le Magister après qu’Ugolin lui eut été présenté.
— Non nobis, domine ! Non nobis, sed nomini tuo da gloriam 3 ! répondîmes-nous à l’unisson. Baucent ! Baucent ! Baucent !
L’histoire de l’Ordre lui fut résumée par Ravier, du premier voyage en Terre sainte d’Hugues de Payns et de ses compagnons jusqu’à la fondation de l’Ordre du Temple, au cœur duquel l’Ordre des Neuf avait été enfoui. J’écoutai attentivement, l’émoi de l’initiation m’ayant privé de moult détails. Le sens caché de l’épée, de l’écu, du baucent, de l’abacus et du sceau lui fut expliqué. Puis arriva l’apothéose dramatique de la cérémonie. La Vérité allait lui être révélée.
— Tu te retrouves aujourd’hui parmi nous en remplacement de sire Bertrand de Montbard qui est incapable de remplir sa fonction, lui expliqua le Magister. Tu n’es pas templier, mais tu es bon chrétien. À ce titre, tu porteras désormais le manteau immaculé qui symbolise ta foi. Revêts la couleur de la pureté et de l’innocence pour prendre connaissance de la Vérité.
Eudes se leva et apporta un manteau blanc, sans croix, qu’il posa sur les larges épaules du colosse. Puis le Minervois fut conduit à l’autel, où trônait la cassette. Je vis dans son visage qu’il l’avait reconnue. Tous se levèrent, s’approchèrent de l’autel à leur tour pour former un cercle et posèrent la main sur leur cœur.
— Depuis notre maître Hugues de Payns, expliqua le Magister, trois des nôtres conservent en permanence les clés qui mènent à la Vérité. Pour l’instant, Eudes, Raynal et Gondemar portent ce fardeau au nom de l’Ordre.
— Ensemble, libérez la Lumière, ordonna Ravier en nous adressant un signe de la tête.
Eudes, Raynal et moi sortîmes les clés que nous portions au cou. Nous en insérâmes chacun une dans la serrure appropriée, puis les fîmes tourner. Je me sentais partagé entre la peur de revoir les manuscrits qui avaient fait s’écrouler les fondations de ma vie et le besoin de confirmer qu’ils existaient bel et bien, que tous mes tourments n’avaient pas été qu’un rêve cruel.
— Nolite arbitrari quia venerim mittere pacem in terram ; non veni pacem mittere sed gladium 4 ! s’écrièrent en chœur les autres membres de l’Ordre.
Ainsi qu’il l’avait fait devant moi, sire Ravier posa la main sur le couvercle de la cassette. Je savais à quel point Ugolin se sentait nerveux et j’anticipais le moment où il prendrait connaissance du contenu des parchemins. Pour le cathare qu’il était, la révélation serait certes plus facile à accepter, car elle confirmerait le bien-fondé de sa foi, alors qu’elle avait complètement détruit la mienne. Mais je ne doutais pas qu’il serait ébranlé. Il était impensable qu’il en aille autrement.
D’un geste dramatique, Ravier fit pivoter le couvercle de la cassette sur ses charnières. Son visage prit une expression d’incrédulité puis blanchit ; je crus que le vieux templier allait s’effondrer sur le sol, raide mort. Il vacilla et, faisant fi du décorum, je tendis les bras pour le soutenir. En même temps, je suivis son regard éperdu, qui n’avait pas quitté la cassette.
Elle était vide.
1
Les destins guident ceux qui acquiescent ; ils entraînent ceux qui résistent.
2
Souviens-toi de moi, élève.
3
Non pour nous, Seigneur, non pour nous mais pour que ton nom en ait la gloire.
4
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la Terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Matthieu 10,34.
Deuxième partie
Péril en
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