Le Fardeau de Lucifer
bien volé les parchemins avant sa blessure et avait confessé son crime ? Non. Il n’aurait pas été emmené secrètement par un seul homme en pleine nuit. Il aurait été saisi et arrêté. Peut-être même abattu sur-le-champ. Je me maudis intérieurement d’oser évoquer pareilles idées au sujet de mon maître, dont je connaissais la droiture mieux que personne ; mais, avec tout ce qui s’était dit dans le temple, comment ne pas y songer ?
Dans les circonstances, je décidai qu’il était plus prudent de ne pas annoncer ma présence et testai délicatement la porte. Contre toute attente, elle était déverrouillée. Je l’entrebâillai et passai la tête à l’intérieur. La porte secrète qui menait au temple était laissée sans protection. Aux aguets, nous dégainâmes notre dague, plus utile dans un espace restreint qu’une longue épée. J’entrai sur la pointe des pieds. La pièce était vide, alors qu’elle devait être gardée en permanence. Une chandelle brûlait sur la table, preuve d’une présence récente.
— Où sont-ils passés ? demanda Ugolin, interdit.
Je me souvins que le colosse n’avait encore jamais vu cette pièce, où il était venu une seule fois quelques heures auparavant, les yeux bandés.
— Va voir en haut, lui dis-je.
Il s’engagea dans l’escalier qui menait à la salle de tortures et, après un instant, redescendit.
— Rien, m’informa-t-il.
— Alors, à moins qu’ils n’aient été si bons chrétiens que Dieu les ait emportés au ciel de leur vivant, ils sont en bas. Dans le temple.
— Je croyais qu’on n’y pouvait pénétrer sans avoir été convoqué ?
— C’est ce que je pensais aussi. Si on y entre comme dans un moulin, il n’est guère étonnant que les documents aient disparu.
Je pris la chandelle et la tendis à Ugolin. Puis je m’approchai de l’endroit où se trouvait l’ouverture secrète. Il me fallut un moment pour retrouver l’espace entre deux pierres où j’avais vu les autres insérer leur lame. Je fis de même et l’abaissai vers le bas, tel un levier. Aussitôt, la porte secrète pivota silencieusement sur son centre. Je tendis l’oreille, mais aucun bruit ne me parvint.
Ugolin et moi nous engageâmes avec prudence dans l’escalier abrupt où nous avions risqué à tour de rôle de nous rompre le cou. Lorsque nous parvînmes en bas, l’antichambre était vide. Seuls les cinq archanges de la fresque laissaient peser sur nous leur regard sévère et accusateur. À leur vue, je ressentis une fois encore un frisson sinistre. Je jetai un coup d’œil vers mon ami et constatai qu’il n’en menait guère plus large que moi. Tout à coup, des bruits étouffés traversèrent la porte qui donnait accès au temple. Des voix au ton pressant, dont une que je reconnus immédiatement.
— Bougre de pousse-merde ! gronda Montbard.
Des coups, suivis de chocs secs et d’un grognement. Puis le silence, mille fois plus inquiétant que le vacarme. Sans attendre, je me précipitai vers la porte et l’ouvris d’un coup. La scène qui se déployait sous mes yeux dans la lumière des flambeaux tenait du sacrilège.
Quelques fauteuils avaient été renversés sur le côté et les manteaux blancs étaient étalés sur le sol. Au centre du temple, l’autel avait été déplacé, révélant une ouverture rectangulaire sombre dans le plancher. Tout près, Montbard était assis, manifestement inconscient. Eudes était accroupi derrière lui et l’empoignait par les cheveux. Il lui appuyait une dague sur la gorge et allait la trancher. Notre arrivée imprévue interrompit son geste et il leva la tête, surpris. Je restai un instant tétanisé, réalisant que c’était à tort que j’avais présumé qu’un autre homme avait laissé entrer l’inconnu et Montbard. Eudes était l’inconnu encapuchonné et il avait ouvert lui-même. Pour assassiner mon maître.
Ugolin réagit plus vite que moi. Un sifflement retentit sur ma droite et, l’instant d’après, sa dague était enfoncée jusqu’à la garde dans l’épaule d’Eudes, juste sous la clavicule, sa pointe émergeant sans doute de l’autre côté. Le templier grogna, mais habitué à supporter la douleur, ne lâcha pas sa prise. Avant qu’il ne puisse égorger mon maître, je me précipitai à mon tour vers lui, le saisis par la cape et le projetai de toutes mes forces contre le mur le plus proche. Il s’y fracassa durement le visage
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