Le Fardeau de Lucifer
seule sache qu’il est sorti. Qu’elle en prenne bien soin. Fais-lui voir ton épaule par la même occasion. J’ai laissé Véran en haut. Il prendra ton tour de garde.
Ugolin tendit la main à Eudes et l’aida à se relever. Une fois debout, le templier grimaça en faisant jouer son épaule blessée. Il rabattit sa cape pour cacher la tache sombre sur sa chemise et, ensemble, nous relevâmes Montbard, passant chacun un de ses bras sur nos épaules. Une fois dans l’escalier, nous dûmes le soulever. Je ne pus m’empêcher d’admirer Eudes, qui devait souffrir le martyre, mais qui se contentait de serrer les dents. Cet homme était un guerrier redoutable et j’étais reconnaissant d’être de son bord.
— Ugolin, reste avec moi, ajouta Ravier. Même si la cassette est vide, tu es membre de l’Ordre et tu dois connaître la Vérité. En mettant fin à l’assemblée sans achever ton initiation, le pauvre vieillard fatigué que je suis a erré.
Eudes et moi sortîmes en emportant Montbard, laissant le Minervois seul avec le Magister. Arrivés dans l’entrée du donjon, Véran nous accueillit. S’il fut surpris de voir mon maître vivant, il n’en montra rien. Il se contenta de nous ouvrir la porte, qu’il referma derrière nous et qu’il verrouilla.
À l’infirmerie, dame Peirina parut étonnée de revoir son patient en vie et je compris que, de garde auprès des patients, elle avait été de mèche avec Eudes et que c’était elle qui l’avait laissé s’emparer de lui. Pour la première fois depuis que je la connaissais, son visage sévère s’éclaira d’un large sourire, elle ferma les yeux, soulagée. Je me rappelai son malaise lorsque Ravier avait laissé entendre à Eudes que le temps était venu d’exécuter les basses œuvres de l’Ordre des Neuf. Elle non plus, de toute évidence, n’avait pas apprécié la tâche qu’elle devait accomplir.
Nous étendîmes mon maître sur son lit et elle le prit en charge. Elle défit le bandage qui enveloppait son moignon, inspecta la blessure et la badigeonna d’onguent avant de la recouvrir d’un linge propre.
— La plaie s’est un peu rouverte, mais tout ira bien, m’informa-t-elle.
Elle me posa une main sur le bras et le serra.
— Gondemar, murmura-t-elle pour ne pas être entendue des autres patients, j’ignore ce qui a pu se passer pour que sire Bertrand se retrouve ici, mais sache que je suis heureuse qu’il en soit ainsi.
Je me contentai de hocher sèchement la tête. J’étais encore en colère et elle dut le sentir. Embarrassée, elle retint Eudes.
— Tu es blessé. Montre-moi ça.
Eudes retira sa cape, puis sa chemise, et laissa la Parfaite examiner sa plaie. Elle était profonde, mais nette.
— Tu as de la chance. La lame a manqué de peu une artère. Sinon, tu aurais pissé le sang jusqu’à te vider. Nous allons simplement recoudre tout ça. Avec cette musculature, tu ne sentiras plus rien dans quelques jours. Attends-moi, je reviens.
Peirina disparut pour aller quérir ce dont elle avait besoin pour refermer la plaie. Eudes et moi restâmes seuls près de Montbard, qui dormait comme un sonneur. La gêne entre nous était palpable.
— Je n’ai fait qu’obéir aux ordres, marmonna-t-il en gardant les yeux rivés au sol. Je ne voulais pas le tuer. Je n’avais pas le choix. Tu comprends ?
Il releva enfin la tête et soutint mon regard. Je ne pus qu’admirer le courage et l’humilité qu’il fallait pour faire ce simple geste.
— Jadis, Montbard a dû obéir à un ordre cruel, lui aussi. Il ne t’en tiendra pas rigueur. Quant à moi, je ne suis pas en position de te juger. J’ai fait bien pire.
Je lui tendis la main et il la saisit, visiblement ému.
— Nous avons plus important à faire qu’entretenir des rancœurs, dis-je.
Sur l’entrefaite, Peirina réapparut. Elle sutura la plaie d’Eudes d’une main experte sans même qu’il grimace, puis lui donna son congé. Le templier sortit sans attendre.
Je m’assis sur le tabouret près du lit. Peirina allait partir, mais elle se ravisa.
— Qu’allons-nous faire ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint.
— Retrouver ce qui a été perdu, répondis-je, sachant fort bien de quoi elle parlait. Avons-nous un autre choix ?
— Que Dieu t’entende, mon frère, répondit-elle.
— J’en doute. De toute la Création, je suis peut-être l’homme dont la voix porte le moins.
Ne
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