Le Fardeau de Lucifer
entendu. Tous les templiers stationnés à Montségur le sont.
— Et le Temple s’accommode de cela ? Malgré son vœu d’obéissance au pape ?
Le Magister fit une moue évocatrice, suivie d’un sourire entendu.
— Disons que la tolérance religieuse du Temple est grande et qu’il est beaucoup moins orthodoxe que le pape aime à le croire. Ses racines se trouvent dans l’hérésie, et les doctrines de l’Orient l’ont pénétré depuis longtemps. Tu sais, les mahométans sont des hommes comme nous et Dieu est le même pour tous. Il est plus que temps que les religions cessent de diviser les hommes. Au fond, c’est à cela que servira la Vérité, le jour où elle sera révélée. Si nous la retrouvons jamais, évidemment.
Il me toisa un moment et secoua la tête en faisant un sourire las.
— Je sais ce que tu penses, Gondemar, et non, les Templiers ne sont pas tous des hérétiques. Au contraire, la plupart sont chrétiens et ne songeraient jamais à apostasier leur foi. Mais l’Ordre, fondé par des cathares, est resté indulgent et respectueux envers les autres religions. Seuls les initiés de notre Ordre connaissent la Vérité.
— Tu crois que les autres la soupçonnent ?
— Certains d’entre eux, c’est inévitable. Les rumeurs et les légendes au sujet d’une preuve de la fausseté de la religion chrétienne circulent depuis des siècles. Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas en avoir connaissance. Il se trouve sans doute plusieurs taupes dans les commanderies, qui guettent la moindre rumeur au sujet de la Vérité pour la rapporter à Innocent. Aussi triste que cela soit, l’Ordre des Neuf, issu du Temple, doit maintenant se méfier du Temple. C’est pourquoi il est capital pour lui d’agir dans le plus grand secret.
— Alors n’importe lequel des templiers qui se trouve à Mont-ségur pourrait être notre voleur ?
— Si oui, il a forcément un complice parmi les Neuf, compléta le vieillard.
Ravier laissa échapper un soupir déchirant et je réalisai à quel point son visage avait pâli. Je le raccompagnai vers son logis, espérant qu’il s’accorde un peu de repos, mais je n’étais pas dupe. La disparition de la Vérité était en train de tuer le Magister de l’Ordre des Neuf plus vite que la maladie qui le rongeait.
Pendant plusieurs jours, par la suite, j’arpentai le chemin de ronde au sommet des remparts, interrogeant sans relâche les sentinelles pour savoir si elles avaient vu quelque chose d’étrange au cours des derniers mois. Quelqu’un qui rôdait trop souvent au pied de la muraille, qui y montait sans raison, ou qui y revenait un peu trop souvent. Un homme qui demandait à prendre un tour imprévu ou qui offrait d’en remplacer un autre. N’importe quoi. Les gardes n’aimaient guère être interrogés et, au début, tous affirmèrent en bloc n’avoir rien vu d’étrange. De toute évidence, malgré mes exploits bien connus et les amples preuves que j’avais faites de ma loyauté à leur cause, aucun de ces rudes soldats cathares, à l’esprit simple, mais d’une irréprochable fidélité, ne faisait assez confiance à l’ancien croisé que j’étais pour lui faire des confidences.
Heureusement, l’un d’eux, un dénommé Germond, s’avéra particulièrement porté sur la dive bouteille et, grâce à une bonne dose d’eau-de-vie, je finis par en savoir un peu plus. Ce que j’appris me troubla fort et, cette nuit-là, je ne parvins pas à trouver le sommeil. Dès que le soleil pointa à l’horizon, je courus auprès de Montbard pour en discuter, quitte à le tirer du lit s’il le fallait.
Je le surpris assis sur sa paillasse, en train de pester contre sa jambe de bois, dont il essayait de nouer les sangles. Je m’approchai et l’aidai. Cette fois, il accepta sans trop maugréer.
— Ce machin est compliqué à installer, dit-il en forçant un sourire. Si ça continue, je crois que je dormirai avec. Ce sera plus simple.
— Vous apprendrez, n’ayez crainte. C’est bien moins difficile que le maniement des armes et vous êtes têtu comme un âne.
Pour toute réponse, mon maître me donna une claque plus ou moins amicale derrière la tête.
— Vous avez vu Pernelle ? demandai-je.
— Oui, la petite bougresse a été forcée d’avouer que je me porte de mieux en mieux. Le moignon est un peu tendre, sans plus. Tant et si bien qu’elle m’a autorisé à
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