Le Fardeau de Lucifer
faire.
— Je m’engage à ne les point révéler et à empêcher tout frère ou sœur de le faire, y compris le Magister de l’Ordre, s’il est en mon pouvoir de l’en empêcher, et en le tuant s’il le faut, dit notre serment sacré, récita-t-il d’une voix frémissante d’outrage. Sire Gondemar, tu as démasqué un parjure. Il te revient d’exécuter la sentence prévue dans notre obligation solennelle.
Je tirai calmement Memento, qui scintilla telle une épée de justice dans la lumière des flammes, et me dirigeai vers Daufina. Réalisant le sort qui l’attendait, elle se mit à se débattre sans pouvoir échapper à la poigne solide des templiers. Jaume et Véran la forcèrent à s’agenouiller et reculèrent tout en lui tendant les bras derrière le dos.
— Non. gémit-elle. Vous vous trompez. Ce n’est pas moi qui.
Le sifflement de Memento retentit et, l’instant d’après, la tête de la traîtresse roula sur le carrelage noir et blanc. La Vérité était sauvée.
La crise était passée et la mission centenaire de l’Ordre était préservée. Le temps, arrêté depuis des mois, pouvait reprendre son cours. La cassette était de nouveau verrouillée et les clés copiées par Daufina enfermées à l’intérieur jusqu’à ce que le Magister décide de leur sort. Quant à moi, je devais mettre de côté la tranquillité que j’avais retrouvée et recommencer à me préoccuper de la suite des choses. Je n’étais revenu sur terre que pour protéger la Vérité et il m’en manquait toujours une partie. Ma tâche avait été interrompue et elle était loin d’être achevée.
Nous disposâmes du corps de Daufina et nettoyâmes le temple. Je me chargeai personnellement de la tête, que j’empoignai avec un plaisir pervers par les cheveux pour la jeter dans la fosse dissimulée sous l’autel. Tout au long de l’opération, Ravier resta affalé dans son fauteuil, hagard et à bout de force. Lorsque l’autel eut retrouvé sa place, que le carrelage fut lavé et que plus rien ne parut du sacrilège qui avait profané les lieux, ceux qui étaient à nouveau neuf reprirent leur place autour de leur maître.
— Tudieu. gronda Montbard, pour rompre le silence. Comment a-t-elle mis la main sur ces clés ?
Habitué à considérer une question sous tous les angles, mon maître était visiblement stupéfait par ma découverte, et sans doute un peu contrarié de ne pas y avoir songé lui-même.
— En plus de la sienne, Eudes a détenu la clé de sire Drogon pendant quelque temps avant l’initiation de Gondemar, dit Véran. Comme elle l’avait endormi, elle lui aura simplement subtilisé les deux pour les copier, puis les lui remettre autour du cou avant qu’il ne s’éveille. Et si elle a drogué Eudes, elle a certes pu faire de même avec Raynal, ce qui lui aura procuré les trois clés.
— Elle m’a quelquefois offert du vin, à moi aussi, admit le templier bourru en baissant honteusement la tête, comme un enfant pris sur le fait. Je croyais que c’était par amitié. Je me suis fait prendre.
— Daufina... murmura tristement Peirina, ébranlée. Je n’arrive pas à le croire. Je la connaissais depuis dix ans et jamais je n’ai perçu quoi que ce soit qui. Pourquoi ? Par Dieu, pourquoi ?
— L’appât du gain. Le désir de mettre fin à la croisade en donnant à Amaury ce qu’il désire. La peur. La malfaisance, tout simplement. Qui sait ? répondit Véran. La guerre a cette faculté de révéler la vraie nature des gens. Les héros se révèlent, les pleutres et les traîtres finissent toujours par se trahir.
Jaume demanda ensuite la parole.
— Sire Ravier, tout cela est très bien. Par la grâce de Dieu, nous avons retrouvé les parchemins. Mais il m’a semblé que tu entretenais avec Véran un secret. À la lumière des récents événements, cela me paraît moins souhaitable que jamais au sein d’un ordre fondé sur l’entière confiance de ses membres.
— En effet, répondit le mourant harassé de fatigue. Tu as raison. Tout doit être dit et chacun de vous mérite de le savoir.
Il inspira profondément et ferma les yeux, semblant chercher à regrouper ses idées avant de parler. Puis il reprit.
— Vous avez déjà appris, lors de votre initiation, que l’Ordre des Neuf n’est qu’une partie de quelque chose de plus grand. Nous conservons une part de la Vérité, et le reste est ailleurs. La chose
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